Sorti entre Scoop et Vicky Christina Barcelona, le cru allenien de 2007 est l'un des plus mal-aimés. C'est même un des rares opus où la critique est prête à lâcher le névropathe new yorkais. Il faut dire qu'il est d'un abord assez trivial, avec des flottements dans l'écriture se répercutant sur la pertinence de personnages secondaires. Malgré sa nonchalance Le rêve de Cassandre s'avère une virée maline, lucide sur ses tourments. Il est un peu brouillon mais entretient la force des premiers élans, leur naiveté payante, pour raconter une tragédie contemporaine ancrée dans un monde crument réel et palpable.
Ce n'est pas si fréquent de retrouver des gens socialement normaux (classe moyenne anglaise), aux caractères limpides et vraisemblables, alors que l'enjeu est lui-même social et économique. Les deux frères interprétés par Farell et McGregor sont des trentenaires en pleine expansion, du moins ils y aspirent. Ils sont donc tournés vers les affaires matérielles, où ils ont tout à prendre bien que déjà quelques bricoles à perdre. On parle sans cesse d'argent, d'investissements, de réussite relationnelle, d'image sociale, de propriété. Les retrouvailles avec Howard seront un ticket potentiel vers la prospérité. Cette initiation ressemble à un choc de la vie plus profond que celui de l'entrée ou la sortie de l'adolescence ; c'est le moment où le jeu se découvre vraiment, où le pilotage de sa vie s'apprivoise et se négocie, dans un couloir entre le règne de la foi pure et celui où la nécessité dicte l'ordre et la morale.
La modestie du film lui profite ; il s'agit bien de raconter, remonter toute la sombre entreprise, faire résonner les voix autour. Le rêve de Cassandre ne refait pas le monde, il en prend acte : comme pour ses protagonistes, il accepte les contraintes et dompte les situations ; il laisse ses sujets se débrouiller avec la morale et lui tourner le dos, sans prendre lui-même position. Le point de vue est cynique et mobile. Globalement la synthèse fonctionne bien, à quelques redondances près. Et surtout le spectateur est exposé ; jouer les tueurs à gages, même pour un one shot, c'est une chose étrange pour des types normaux, des flambeurs se voyant déjà loups froids ou bons petits chefs de famille.
La subtilité manque souvent et jusqu'à la rencontre avec le fameux oncle Howard, les défauts de ce mauvais Rêve sont accentués : montage (sonore notamment) à la hache, enchaînements d'idées oscillant entre pachydermique et décousu, poignée de dialogues carrément niais et amphigouriques (la comédienne). Pourtant la séance est déjà prenante à ce moment-là : si l'état des lieux est lourdingue, c'est parce que sa richesse se dispute à sa grossièreté. Les acteurs sont excellents, les deux têtes d'affiche trouvent des costumes à contre-emploi les rendant bien plus passionnants qu'à l'accoutumée, Tom Wilkinson (Gerald de The Full Monty) et Clare Higgins (Julia de Hellraiser) sont remarquables malgré leur fonction d'une moindre importance.
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