Au départ, Le Rite est réalisé pour la télévision en 1969 avant de sortir en salle, expliquant peut-être par là certains choix du réalisateur, comme entre autres les gros plans qui capturent une myriade d'émotions qui flirtent toutes avec la folie, les coupes si particulières ou l'articulation des différentes scènes-tableaux. Quoi qu'il en soit, les premières pistes du Bergman des années 1970 sont posées et donnent une forme brillante au bouillonnement névrosé d'un ménage à trois d'artistes détraqués et traqués (comme Ingmar himself) par la censure et le fisc.
Bergman s'amuse dans ce film -si sombre en apparence (ne serait-ce que visuellement)- de la censure en dépeignant un juge médiocre et ridicule. La scène de la confession, où il joue le prêtre, et la fin sont d'ailleurs assez drôles si on se l'imagine écrire le texte du juge, faisant avec délice dire à son personnage qu'il est médiocre, qu'il a peur et qu'il a fait cette cette carrière pour faire plaisir à son père. Bref, tout le film est un énorme pied-de-nez aux autorités suédoises des mœurs -ce que la présence d'une scène (très gentiment) érotique, assez belle, confirme. Mais Bergman montre aussi toute la souffrance et la folie de ses trois autres personnages, les artistes, eux de vraies personnes par opposition au juge mais pas épargnées non plus. Chacun, dévoré par son métier, développe une névrose propre -Ingrid Thulin étant particulièrement brillante- permettant ainsi à Bergman d'explorer sa propre angoisse ; la très fine limite psychologique entre raison et abandon à sa névrose, l'érosion de l'amour, et le sens de l'art, sa pertinence vis-à-vis de la société.