Le Roi de l'évasion est le film d'un homme libre et ces films-là et ces gens-là sont rares.
Libre dans la manière d'aborder tout ce qu'il touche ou traite. Guiraudie n'appartient pas à un clan, celui du cinéma dit d'auteur ou du cinéma populaire, celui des homosexuels ou des hétérosexuels. Ici les frontières sont ignorées et lorsqu'il les remet pour des besoins dramatiques, c'est pour les franchir ou en rire.
Même liberté avec les vraisemblances - la fable est préférée, plus fertile et plus drôle que le souci parfois scolaire et étriqué de chercher à rendre une intrigue probable alors que la réalité elle-même ne l'est pas... et même liberté avec la morale souvent pitoyable dont notre époque s'est enveloppée.
L'intrigue pourrait se résumer ainsi mais c'est selon le point de vue: un homme mûr attiré par les hommes, un peu rondelet, enlève la fille de son patron, 16 ans et charmante car elle le lui a demandé etc... Ils sont bien sûr poursuivis par des gendarmes "aux bottes de sept lieues" (les apparitions incongrues et soudaines sont savoureuses) et des paysans nymphomanes et homosexuels, adeptes de la dourougne. Encore un de ces noms/objets fabuleux que Guiraudie invente et qui ne se contentent pas de réfléchir notre réalité mais de réfléchir sur elle aussi, de lui apporter une autre proposition, moins intéressée et plus heureuse.
Cinématographiquement, Guiraudie renoue avec ces courses permanentes que Du soleil pour les gueux avait initiées. Fuite ou simple désir de bouger, de vivre ou de respirer, les raisons en seraient presque secondaires, renoue aussi avec ces surgissements venus de nulle part. Le montage s'articule beaucoup sur des expressions simples, soupirs d'incrédulité, dépits passagers, étonnements bonhommes de l'acteur principal dirigé, comme les autres, à merveille loin des clichés auxquels nous sommes habitués.
Dialogues et situations savoureuses, jamais soulignées et encore moins d'une quelconque indignation, comme cet aire de repos fermée par des plots de route plastique et sur lequel est assis seul cet homosexuel à qui l'on a fermé son lieu de chasse... sans parler de "notre héros" se retrouvant en slip dans sa fuite plus qu'il n'est besoin sans doute pour la vraisemblance mais pas pour la comédie.
Revu le 6 juin 2024 (cinéma et 35 mm)