Je fais partie de ces gens qui ont eu la chance de grandir avec une grande quantité de dessins animés, pour qui Mickey, Donald et consorts étaient des modèles, qui ne jurait que par Disney, les Looney Tunes, les Tex Avery et autres cartoons. En fait c'est toujours un peu le cas d'ailleurs, mais bref. Puis arriva ce beau jour où, à l'occasion d'un ciné-club, j'allais découvrir une de mes plus grosses claques dessinées. Et cette claque se nomme Le Roi et l'Oiseau.
Pourtant, c'est clair que quand on est gosse, c'est assez facile de passer à côté de toutes les références et symboles cachés derrière les images. Mais voilà, cet univers surréaliste m'a envoûté et m'a fasciné, j'en étais ressorti particulièrement chamboulé. C'était donc normal de le revoir en étant plus en âge de comprendre toutes les subtilités du film, et ça n'a pas manqué, ce fut une nouvelle fois la bonne claque dans la figure.
Cette histoire nous fait suivre le roi Charles V et III font VIII et VIII font XVI (ou plutôt son double sorti d'un tableau, encore plus vil), despote tyrannique craint de tous, qui assujettit son peuple, entouré de serviteurs tous identiques et déshumanisés, et n'hésitant pas à "offrir" aux réfractaires une vie de misère dans une ville basse qui ne connaît rien du monde extérieur. Il trouvera comme adversaire un oiseau, seul personnage qui ose s'opposer au despote, tandis que Charles convoite une adorable bergère qui, elle, s'est épris d'un "petit ramoneur de rien du tout".
Et dans cette histoire, des subtilités il y en a. Evidemment, rien de bien difficile à dénicher la caractéristique première du film, à savoir la lutte contre la dictature et l'ode à la liberté. Mais ça ne s'arrête pas là. Beaucoup de sujets passent à la moulinette de la critique. Le travail à la chaîne, la vanité de certains progrès technologiques, qui par ailleurs prennent le pas sur le reste (le roi lui-même semble dépourvu de sentiments et d'humanité), les références aux camps de concentration vis à vis du travail qui "rend libre", et bien sûr la question sur les armes à grande échelle via ce robot destructeur gigantesque, tout cela contribue à la seconde lecture mordante qui se dégage du récit.
L'Oiseau, lui, est le symbole du monde extérieur, étant le seul à savoir ce qu'il y a en dehors du royaume de Takicardie. Il parle plusieurs langues, il connaît les merveilles du monde et au-delà. Et il représente la liberté du peuple qui va s'unir, celui de la ville basse comme celui d'en haut, contre le tyran, afin d'ébranler l'empire. On se prend aisément d'affection pour le volatile, qui ne se contente pas d'être un personnage drôle, loin de là.
Paul Grimault et Jacques Prévert savent habilement jongler entre les émotions ressenties grâce à leurs images. Tantôt l'oeuvre est amusante, tantôt elle est poignante, tantôt elle émerveille sans difficulté. Et pour cela, elle est aidée d'images étonnantes, représentant un univers déstructuré et délirant, et pourtant empreint de beauté, à l'image de tout ce qui se passe dans la ville basse. Sans compter les influences, aux tendances orwelliennes mais pas que (on peut voir aussi une influence des Temps Modernes de Charlie Chaplin lors du travail à la chaîne). D'autant que Le Roi et l'Oiseau lui-même servira d'inspiration, pour Hayao Miyazaki notamment.
L'oeuvre se termine en apothéose avec cette image du robot libérant l'oisillon de sa cage avant de la détruire. Une scène pleine d'espoir, montrant un automate pas si dépourvu de personnalité qu'il en a l'air et qui contribue lui aussi à la vision d'un monde libre au lieu d'agir pour la destruction. C'est par ailleurs la dernière scène sur laquelle Jacques Prévert travaille, avant de lâcher son dernier souffle.
Le Roi et l'Oiseau est, en plus d'être un conte inoubliable, porté par des dessins inspirés et par une musique d'une beauté sans faille (que je n'ai pas mentionné, mais qui est sublime de bout en bout), un dessin animé pour lequel j'ai une immense affection. Non seulement pour l'incroyable richesse dont fait preuve l'écriture, mais aussi et particulièrement pour l'infinie poésie qui s'en dégage, et qui me charme toujours autant que lors de mon premier visionnage.