Le Roi Lion
5.7
Le Roi Lion

Long-métrage d'animation de Jon Favreau (2019)

[N.B. L'avis qui suit concernera indifféremment le film d'animation de 1994 ou son lifting de 2019 en images de synthèse & prises de vue réelles.]


Que ce soit réglé d'un mot d'ailleurs, je comprends mal que la réception critique puisse être à ce point différente de l'un à l'autre étant donné qu'il s'agit très exactement du même film : mêmes plans, même mise en scène, mêmes répliques, même musique... Seule perte éventuelle qu'occasionne cette nouvelle version par rapport à l'original : les visages des personnages, logiquement moins expressifs et moins anthropomorphiques puisque le parti pris esthétique des prises de vues réelles commande aux animaux de ressembler à des originaux droit sortis d'un documentaire de National Geographic plus qu'à des personnages de dessin-animé. La contrepartie, néanmoins, est qu'on a droit à une animation splendide et à une très belle réorchestration de la bande originale.


Mais passons, ce n'est point de ceci que je m'en vais discourir !



Le Roi Lion : rêve humide du droitard



Non, ce qui m'impressionne avec Le Roi Lion c'est que ce film puisse susciter autant d'amour chez le vaste gauchiste que je suis alors même que je le trouve détestablement réactionnaire. (Ah oui, je n'ai pas prévenu mais, au cas où le titre n'avait pas vendu la mèche : ça va parler politique – parce que phuque, hein, si Le Roi Lion ça n'est pas un film politique, je ne sais pas ce qu'il vous faut !) Alors bon, probablement ne vais-je rien écrire ici qui n'ait déjà été dit mille fois à propos de ce film, mais ça n'est même pas seulement qu'il soit une grande ode monarchiste. (Après tout il existe des royalistes tout à fait fréquentables... les gars sont un peu des aliens, mais bon, ils existent.)


Par-delà le monarchisme, c'est tout le bagage idéologique attaché :



  • Les valeurs aristocratiques ;

  • L'héritage traditionnel érigé au rang de transcendance religieuse ;

  • La rhétorique de l'ordre naturel comme modèle de la hiérarchie politique ;

  • Des pelletées de maximes nourries à la vénération des grands hommes, selon lesquelles la justice n'est pas du tout affaire d'organisation sociale mais juste d'honnêteté du dirigeant porté à la tête du royaume ;

  • La conception essentialiste du vice et de la vertu, attachés à l'héritage et au sang : une noblesse née pour être brave, une majorité née pour constituer une masse idéalement servile, et quelques franges irrattrapables de marginaux nés dégénérés, vils et fourbes ;

  • Les réflexes xénophobes entretenus autour des hyènes, ces hordes de brutes immigrées venues piller les terres des nobles lions qui n'avaient, ma foi, rien fait que les bannir sur des terres stériles, à crever dans leur coin !

  • Le procès en lâcheté contre le pacifisme hédoniste de Timon & Pumbaa.


Et malgré tout cela : que c'est réac, mais que c'est beau !
Diantre, cette relecture de Hamlet à la façon d'une fable en pleine savane ! Des idées de mise en scène remarquables tous les deux plans ! Des personnages tous plus attachants, charismatiques ou drôles les uns que les autres ! Une musique magnifique qui ne te sort plus jamais de la tête ! Un sens de la narration et du rythme taillé à la perfection !


Le Roi Lion, ça n'est pas simplement un film réactionnaire : c'est un chef-d'œuvre réactionnaire. C'est le monde fantasmé du réactionnaire fait film, dans une enveloppe de prestige. C'est son rêve éveillé, sous sa forme terminale.



Mufasa : l'aristocrate sans peur ni reproche



On ne fait pas un rêve humide droitard sans une figure tutélaire de grand homme. Rien que cette voix grave, ronde, profonde, paternelle, rassurante, qui déroule des maximes cosmiques sur le cycle de la vie et la compassion des grands monarques... eh, comment ne pas se jeter dans ses coussinets griffus en s'écriant : « ô Mufasa ! sois mon roi, je serai ton sujet ! ton serf ! ta chose ! » (Quoi ? Vous croyez sérieusement que j'exagère et que la voix de Mufasa n'est pas faite pour érotiser le droitard ? Oh, doux naïfs que vous êtes !)


Mufasa, donc, est la figure indépassable de la vertu : sage mais intrépide, doux mais inflexible, ayant pour seule faiblesse – qui lui sera évidemment fatale – un excédent de bonté à l'égard de son traître frère Scar. En bon roi, Mufasa enseigne son héritier, lui explique qu'on peut de temps à autre bouffer le bon petit peuple (parce que bon, étant soi un prédateur et eux des proies, la nature l'a voulu ainsi, puis de toute façon on retournera fertiliser l'herbe quand on sera mort, alors ils vont pas gueuler non plus, le ruissellement c'est bien aussi). Il lui enseigne un monde dont le cœur est la noblesse de son clan, et sous lui la masse indistincte des gueux – enfin, pas absolument indistincte : d'une part les bons gueux, qui savent se prosterner, se taire et tenir la place que leur a assigné la nature ; de l'autre côté les mauvais gueux, factieux animés par le ressentiment, un peu maladifs, un peu sales, un peu décadents, dont la place est de l'autre côté de la frontière du royaume dans les cimetières d'éléphants.


Oh, le dévoué valet Zazu passe par là ! Bien brave valet que ce Zazu, Simba ! Toujours prêt à risquer sa vie pour protéger la tienne. Voilà un parfait exemple de gueux qui tient sa place. Mais il bavasse trop, ça le rend quelquefois barbant. Un rien obséquieux aussi. Tiens donc, récompense-le de ses loyaux services en faisant mine de t'entraîner à la chasse sur sa volatile personne !


Brave Mufasa ! Que n'avons-nous de roi comme toi ?



Scar : le vil gauchiste immigrationniste



On ne saurait non plus faire mouiller le droitard sans lui offrir un méchant à la hauteur des fantasmes qu'il entretient sur la gauche : opportuniste, nihiliste, dénuée de valeurs, toujours prête à en appeler avec fourberie au ressentiment des démunis contre les riches pour mener son agenda de conquête du pouvoir, de sape des valeurs et de destruction civilisationnelle !


Non mais franchement, je ne peux pas m'empêcher de déployer moi-même mes fantasmes de gauchiste et de m'imaginer le zemmourien type en train de vibrer d'effroi face à Scar, libidineusement tendu vers l'attente de son expiation ! Scar est littéralement la personnification de tous les traits moraux dégoûtants et impardonnables que les réactionnaires voient dans la gauche : un dangereux fauteur de trouble et de subversion, rétif à l'autorité de son roi, prêt à tous les mensonges, tous les populismes et tous les complots pour repaître sa jalousie maladive de vivre dans l'ombre de ceux qui lui sont par nature supérieurs, et par conséquent tout disposé à aller puiser dans le ressentiment de ses pairs vils par nature – les hyènes, ici – des troupes barbares prêtes à envahir la civilisation !



Timon & Pumbaa : la dangereuse tentation du gauchisme hippie sympa



Il existe néanmoins des gauchistes plus tolérables : ils sont moins vindicatifs que les hyènes et se contentent, pour toute protestation, de faire leur vie tranquilles dans leur coin en laissant le pouvoir vivre sa vie dans le sien. La mangouste & le phacochère sont de ceux-ci : des bons-vivants agréables et généreux, qui vont recueillir et protéger notre petit Simba après le régicide infâme commis par l'oncle.


Timon & Pumbaa sont en quelque sorte anti-insructeurs après Mufasa : facétieux où lui était digne, grossiers où lui était noble, festifs où lui était discipliné, ils n'ont pas moins grand cœur que lui mais, assurément, ils sont de fieffés mécréants ! Les voilà qui éloignent Simba de son sang noble et le soumettent à la tentation d'une vie hédoniste dénuée de rapport au passé, à l'héritage, à la transcendance !


Plus rien ne va ! Les bougres sont de bonne composition mais tôt ils intoxiquent notre bon prince de philosophie postmoderne nihiliste ! La vie, disent-ils, ne serait pas un cycle figé idéal, mais une grande ligne droite, grouillante et joyeusement bordélique ; prendre soin de son environnement, paraît-il, ne consisterait pas à restaurer l'ordre ancestral et à veiller sur lui contre ses corrupteurs, mais à tenir compte d'équilibres passagers entre les êtres vivants présents le long de la ligne !


Ne jamais oublier : un gauchiste même sympathique reste un gauchiste. Il est de mauvaise influence et, si vous le laissez faire, vous finirez par vous retrouver avec un Simba non-binaire à franges bleues qui voudra des toilettes non-genrées, critiquera le mépris de classe de l'aristocratie lionne, appellera à adopter des régimes semi-végétariens et à déconstruire les diktats oppressifs de la savane.


Bref : trêve de diableries ! Assez de cogitations rationnelles sur la nature et l'existence, il est grand temps de retourner à de plus nobles conceptions pétries d'essentialisme, de finalisme, de tradition, de superstition, et de rappeler à notre bon petit quelle vocation est inscrite dans ses globules rouges !



Rafiki : l'oracle garant de l'ordre ancestral



Eh, c'est qu'il s'agirait quand même de ne pas oublier qu'on escompte bien que Simba retourne au grand rocher des lions régler son compte à l'immigrationniste infâme et bouter ses hordes hors du territoire des êtres civilisés ! Or comment cela saurait-il se produire si les hippies nous l'ont transformé en couille molle ?


Fort heureusement, si le roi n'est plus là pour remettre les pendules à l'heure, il reste le gardien du temple ! Rafiki s'en ira donc rappeler à notre jeune Simba en déshérence que quand on est de sang royal, on reste pas à glander avec ses potes en chantant et en se remplissant la panse ! On redresse le museau, on écoute la voix de ses aïeux descendre des nuées tel un oracle – ô Mufasa, your sexy daddy's voice will never die ! – et on se bouge la croupe pour aller récupérer son trône et déboîter le vil usurpateur dont les hyènes immigrées sont en train de dépeupler les ressources en jambon des bons lions bien de chez nous !


Palsambleu, c'est beau comme du Finkielkraut ! – Non mais en vrai je déconne : c'est vraiment beaucoup plus beau que du Finkielkraut ! Lorsque la foudre se met à dessiner la figure de Mufasa dans les nuées orageuses avec en fond la musique la plus auguste et la plus grave qui soit, c'est à chialer. En tout cas moi, sans ironie aucune, ça me fait chialer. Tellement c'est beau que même ces cons de hippies tout ébaubis s'arrachent à leur mollesse individualiste et s'embarquent lutter pour le trône de leur protégé en se mettant à l'appeler Sa Majesté !


Tel est le swag de Rafiki.
Il te réenchante un hippie !



CONCLUSION – L'écologie aussi, c'est de droite : c'est une question de remigration & de tradition



Bon, évidemment, gros climax : Simba déboîte Scar, qui finit dévoré par ses propres hordes barbares – fantasme ultime du droitard, que de voir un gauchiste immigrationniste honni se faire agresser par des immigrés qu'il aurait lui-même invités dans sa maison. Et là, enfin, dénouement : Simba le thaumaturge nous ressuscite la savane !


Attendez, parce que ça mérite le coup d'œil, quand même. Scar (c'était l'ultime perle sur le collier de son infamie) avait poussé l'hubris jusqu'à rompre tous les équilibres naturels de la savane, autorisant ses hyènes à chasser sans mesure et provoquant de ce fait un effondrement de la chaîne alimentaire. Lorsque Simba revient de son exil, ça ne plaisante pas ! Le territoire des lions est littéralement devenu un cimetière : dépeuplé, asséché... bref, la désolation totale.


Mais une fois tué Scar et les hyènes chassées, ô miracle ! En six mois tout a reverdi, et la vie et les bestiaux de proie grouillent à nouveau ! Ne croyez donc pas que l'écologie ne puisse elle-même être une affaire réactionnaire ! Replacez sur le trône le garant de l'ordre ancien : aussitôt à sa vue, le Ciel et la Terre à l'unisson se mettront à prospérer en lui chantant une louange qui descendra dans une traînée de lumière nimber le front du nouveau prince héritier !


Le petit peuple n'aura plus qu'à admirer le spectacle et plier le genou.


Mais pourquoi est-ce que j'aime ce film ?


———————————————————


P.S. À noter que Le Roi Lion 2, L'Honneur de la tribu, sorti en 1998 – sorte de relecture de Roméo & Juliette probablement écrite par un gauchiste de mon engeance, sur l'amour impossible entre Kiara (la fille de Simba) et Kovu (un descendant de Scar jeté en exil avec les siens, par Simba) – est une critique assez virulente de la xénophobie du premier opus ainsi qu'une ode à la tolérance. Mais que, malheureusement, le film est tout mièvre et tout naze.

trineor
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le 17 juil. 2019

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