Il n'est pas interdit de penser que Le Roman de Mildred Pierce puisse être le meilleur film du réalisateur Michael Curtiz. Nous sommes trois ans après Casablanca, il était alors au sommet de sa forme et son emprise sur Hollywood ne sera jamais aussi importante. Il engage alors Joan Crawford, l’une des actrices les plus réputées du Hollywood des années 30/40, pour interpréter le rôle principal de son nouveau film, une adaptation sur grand écran d'un roman de James Cain.
Plusieurs commentaires, ici même sur senscritique, classent le film comme un grand classique du film noir. C'est difficilement discutable, puisque tous les codes du film noir sont bien là, un noir et blanc qui joue avec les ombres portées, un meurtre mystérieux, un détective qui enquête, une femme fatale ... tout est là. Mais pour moi, ce film transcende le genre film noir. Un peu à l'image de La Soif du mal d'Orson Welles, on se retrouve ici avec un film hybride de récits Pulp et de pur mélodrame.
Le film s'ouvre sur le meurtre de Monte Beragon (Zachary Scott) qui s'écroule sous les balles. Mais avant de rendre son dernier souffle, il prononce le nom de sa femme Mildred Pierce Beragon (Joan Crawford). Le film est raconté en flashbacks avec la voix off de Joan Crawford. C'est là encore un code du film noir et c'est très efficace pour retenir l’intérêt du spectateur. C'est aussi une ruse de narration pour nous donner l’impression, que c'est bien elle, Mildred Pierce, qui a commis le meurtre ...
Alors qu’en réalité, elle est elle-même victime de sa fille ainée Veda, qui n'hésitera pas à tuer le second mari de sa mère pour maintenir son rythme de vie élevé, sans se soucier des conséquences et surtout pas de sa mère.
Mildred est le genre de femme qui se sacrifiera sans hésiter, pour donner à ses deux filles Veda (Ann Blyth) et Kay (Jo Ann Marlowe) la vie qu’elle n'a pas eue. En retour, elle n'obtiendra de sa fille ainée Veda, que de la rancœur, elle qui en veut encore et toujours plus. En cela, Veda est tout le contraire de sa sœur cadette Kay, fille simple (et un peu "garçon manqué") et aimante, d'un amour sincère pour sa mère ...
Kay meurt tragiquement, très jeune, d'une pneumonie.
Veda est une enfant gâtée et elle le sait ! Elle en joue, sachant très bien que sa mère mange dans la paume de sa main. En souhaitant être ce qu’elle n’est pas, Veda entre dans un monde de sophistication, auquel elle n’était pas préparée ...
On peut presque la voir tomber dans les bras avides de Monte Baregan, le playboy qui est l’objet d’amour de la mère et de la fille ... et l'homme qui sera à l'origine de leurs chutes, à toutes les deux.
Joan Crawford porte littéralement le film sur ses épaules. Elle est extraordinaire devant la caméra et sous la direction de Michael Curtiz. Elle semble être née pour ce rôle, tellement elle est convaincante en mère aimante, tourmentée par "le monstre" qu’elle a créé. Ann Blyth (aka "le monstre") montre un talent certain pour son jeune âge. Parfois, elle parait très jeune, encore plus jeune qu’elle n'est censée être dans le film. Le fait qu'elle tienne la comparaison en face de Joan Crawford, en dit long sur sa performance. La suite de sa carrière ne lui offrira jamais un rôle à la hauteur de Veda.
Jack Carson était un excellent acteur à cette époque, un habitué des seconds rôles et ici "une fois de plus" il déploie toute sa gouaille dans le rôle de Wally, l'ami et associé du restaurant de Mildred. Quant à Zachary Scott, il joue Monte Beragon avec beaucoup de panache, se montrant à la fois séducteur et plein de vices. Et puis il y a Bruce Bennett qui incarne le premier mari de Milfred, Bert Pierce. Ce n'est vraiment pas un rôle facile pour lui, passant en très peu de temps du mari aimant au mari volage.
Michael Curtiz est un grand réalisateur de cette époque, certains le qualifient même de génie. Et même s'il ne fait pas preuve d'une grande flamboyance dans sa mise en scène, tout est est parfaitement soigné à l'image. En fait, tout est fait pour mettre en valeur Joan Crawford et ça il le fait admirablement bien. Il fallait probablement un grand réalisateur derrière la caméra pour obtenir le meilleur de Joan Crawford et c'est ce qu'il obtient d'elle. La direction artistique est impeccable et sans être mémorable, la BO de Max Steiner est très efficace.
Le Roman de Mildred Pierce n’est pas seulement un classique du film noir, c’est l'un des plus grands représentants de l'âge d'or du Hollywood des années 30/40.