Renard malin...
Il y a quelque chose d'assez fascinant à voir dans ce Roman de Renard. Déjà, on prend plaisir à suivre les mille et unes facéties d'un renard connard qui réussit à duper tout le monde la plupart du...
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le 8 juin 2017
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C'est après avoir réalisé des films sur les insectes à visée pédagogique, et après avoir fui la Russie des Bolchéviks pour s'installer en France, que Ladislas Starewitch, aidé par sa fille et assistante Irène Starewitch, se lance en 1929 dans l'aventure de son chef d'oeuvre.
Il faut attendre huit ans pour que Le Roman de Renard finisse par prendre vie, dans une Allemagne assombrie par le régime nazi, alors que, sur un autre continent, Monsieur Disney se prépare à mettre au monde Blanche-Neige et les Sept Nains, son premier long-métrage à succès.
Le film n'est diffusé qu'en Allemagne en 1937, où il remporte de nombreux prix, et en France seulement quatre ans plus tard, car la bande sonore de Roman de Renard fut tellement longue à mettre au point que les Starewitch finirent par accepter le financement du gouvernement nazi. Cela contribua dans un premier temps à faire sortir le film en version allemande à Berlin, afin de leur laisser le temps de finaliser la version française.
Après sa sortie, Le Roman de Renard tomba rapidement dans l'oubli avec l'avènement du cinéma couleur et la Seconde Guerre. Cependant, une restauration fut menée, ce qui lui permit de connaître une nouvelle vie.
Le Roman de Renard est le premier film d'animation français et le deuxième film d'animation à employer cette technique de marionnettes, après Le Nouveau Gulliver, réalisé par le Russe Aleksandr Ptushko deux ans plus tôt. Les marionnettes possèdent une structure corporelle articulée en fil de fer et bois léger, une tête en bois et des yeux en perles ou en verre. Grâce à une peau de chamois, qui recouvre toute la marionnette, celle-ci prend doucement vie, pouvant mouvoir ses yeux, bouche, paupières et sourcils. Généralement vêtues de daim, de velours et de cuir (ce qui devient particulièrement ironique lorsqu'on connaît l'intrigue du film), les marionnettes possèdent plusieurs tailles pour pouvoir les utiliser plus facilement selon les plans du tournage. Ainsi, pour les plans éloignés, elles mesurent 5 à 10 cm, et pour les plans moyens 20 à 30 cm. Notons que la plus grande jamais réalisée par les Starewitch est celle du Lion, qui mesure environ 80 cm.
L'histoire est tirée du Roman de Renart, un ensemble de récits médiévaux français composés au XIIème et XIIIème siècles, qui mettent en scène un renard rusé qui passe son temps à duper les autres animaux pour obtenir ce qu'il souhaite. Certaines références à Jean de La Fontaine se glissent aussi çà et là, notamment dans la première scène qui reproduit Le Corbeau et le Renard. Notons que La Fontaine, comme les auteurs (pour la plupart anonymes) du Roman de Renart, possédaient cette même volonté de réaliser une satire sociale, La Fontaine pour dénoncer les vices de l'Homme, et les autres pour se moquer d'un certain avocat de Paris, du nom de Renart (ce qui contribua à remplacer le terme « goupil » par « renard » dans le langage courant).
Certains ont noté le rapprochement avec Fantastic Mr Fox de Wes Anderson, qui s'est lui-même inspiré du roman pour enfants Fantastique Maître Renard de Roald Dahl. Nous pouvons aussi mettre Le Roman de Renard en parallèle avec Zootopie, film d'animation Disney, qui semble s'en être inspiré dans les lois qui régissent les relation entre proies et prédateurs, et l'anthropomorphisme des animaux.
Le Roman de Renard s'ouvre avec une scène de présentation, ingénieuse et efficace. Il est difficile de percevoir la transition lorsqu'une page du livre se tourne sur un nouveau personnage en trois dimensions, un peu à la manière d'un livre pop-up.
On comprend rapidement la créativité dont vont faire preuve les Starewitch tout au long de leur premier long-métrage.
La plupart des détails pourraient passer inaperçus aujourd'hui, mais ils sont le reflet d'une véritable prouesse cinématographique pour l'époque. Les personnages atteignent un degré d'expressivité tel qu'on en oublierait parfois qu'ils ne sont que des marionnettes, construites dans les années 30, qui plus est. La moindre expression est toujours très nuancée et précise. Notons le plissement des paupières, les bustes qui se soulèvent au rythme des respirations, les museaux qui frémissent, la bave qui coule de la gueule des animaux alléchés...
En plus de ces petits détails visuels, Le Roman de Renard déborde d'imagination. Malgré les moyens techniques de l'époque, les Starewitch parviennent à nous faire comprendre des éléments, qui seraient aisément réalisés à l'ordinateur dans les films actuels. Je pense notamment aux flocons de neige lorsque le Loup se fait assommer, à l'ombre de la rosace qui décore l'église...
Je retiendrai surtout deux passages amusants parmi mes moments favoris : la scène de l'orchestre de grenouilles avec leurs instruments originaux, lorsque les batraciens tentent en vain de s'accorder sur le « la », et la scène où le Renard se trouve au fond du puits et tente de duper le Loup pour se sortir de là, en le berçant de visions paradisiaques, associant les têtes de lapins et canards volantes, les saucisses suspendues et les petits tonneaux ailés. C'est du jamais vu.
Nous remarquerons la personnalité propre à chaque animal, basée sur les critères établis dans les fables médiévales. J'ai particulièrement apprécié la Reine Lionne, espiègle et manipulatrice, qui se joue du petit Chat serviteur et fou amoureux d'elle.
Je pourrais néanmoins reprocher la trop grande ressemblance visuelle entre le Renard et le Loup, qui peut être un peu déconcertante pour des enfants qui n'auraient pas remarqué leurs différents accoutrements.
Tout est tellement ingénieux, des jeux de mots (« avec fromage et intérêt », « loup hisse ») aux personnages, des décors aux musiques (ce « Miaou Miaou » inoubliable!)... Il est difficile de ne pas tomber sous le charme de ce petit bijou d'animation française.
J'ai néanmoins quelques reproches à faire, sans quoi on ne me prendrait pas au sérieux. Je regrette que le son et l'image ne soient pas toujours parfaitement synchronisés, notamment lorsque le chat chante et joue de la guitare (cela viendrait-il d'un problème technique d'un second enregistrement ?).
Le Roman de Renard semble aussi manquer de continuité dans l'intrigue. Cela s'explique par le fait qu'il s'inspire d'un ensemble de récits, ce qui donne l'impression de suivre une série de sketchs sans lien véritable entre eux.
J'ai aussi trouvé le traitement de la fin un peu lent malgré son inventivité, mais le dénouement final permet rapidement d'oublier ces quelques détails.
Selon moi, Le Roman de Renard est un film d'animation qui mériterait le même succès (voir plus) que Blanche-Neige et les Sept Nains et les autres Disney. Mais certains éléments ne lui ont jamais vraiment permis de s'introduire dans nos mémoires : le fait qu'il soit en noir et blanc au moment de l'avènement du cinéma couleur, le fait qu'il soit français et non américain, mais aussi, ne négligeons pas cette cruauté qu'on n'oserait plus représenter dans les films d'animation actuels. Certaines scènes sont en effet très violentes, comme lorsque l'Ours se fait tabasser ou que le Renard s'apprête à être pendu... Mais avec nos esprits d'adultes habitués à la violence, on ne peut que s'émerveiller d'une époque qui n'avait pas peur de représenter la réalité dans toute sa funeste splendeur.
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Créée
le 23 janv. 2020
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