D'habitude, quand je regarde un film de Haneke, je vois plutôt une filiation avec Bergman. Mais ici, c'est à Bela Tarr que j'ai pensé (en moins exceptionnel cependant). Par le noir et blanc parfaitement maîtrisé. Et par ce village qui est au centre de l'histoire. On pourrait même dire que le village est le personnage principal du film. Un village à la fois ouvert et fermé sur lui-même.
Il est ouvert, car de nombreuses scènes se déroulent en extérieur. Et des scènes importantes. Ainsi, les divers crimes qui ponctuent le film sont tous en extérieur : la chute du médecin, les enfants martyrisés, les choux décapités ou l'incendie... Le village, les jardins, les bois, la rivière, tous les décors naturels semblent participer au danger et au sentiment grandissant d'angoisse. Comme si la nature réveillait la bestialité latente des humains (une bestialité qui semble se réveiller par intermittence à certains moments de l'Histoire de l'humanité).
L'extérieur permet également d'avoir des scènes plus lumineuses, comme celles qui rapprochent le narrateur et la timide Eva : leur rencontre et une grande partie de leurs scènes communes se font dehors. Cela procure une certaine respiration dans le film, une bouffée d'air frais au sein d'une ambiance glauque.
Haneke filme aussi, de temps en temps, le paysage environnant le village. Très beaux plans mais qui ont un effet pervers : montrer que le village est perdu au milieu de nulle part. Ces images sur un horizon lointain permettent de comprendre que le village est fermé sur lui-même. Et c'est là une des sources des problèmes.
La mise en scène joue énormément sur les clôtures, les fermetures. Le narrateur nous dit, à un moment, que personne ne ferme jamais sa maison à clé. Et pourtant, tout au long du film, les portes closes sont sensées dissimuler (mal) les différents secrets. Haneke utilise beaucoup les hors champs et sait rendre les choses évidentes sans les montrer. Incestes, attouchements, violences domestiques, toute la brutalité d'une société pervertie (mais qui se prétend respectable) est étalée sous nos yeux. Et le constat n'épargne que peu de monde (le narrateur instituteur et sa fiancée). Même les enfants font peur.
D'autant plus que ces crimes ne sont des secrets pour personne. Tout le monde est au courant de tout. D'ailleurs, dès qu'une porte est fermée, il y a toujours quelqu'un de l'autre côté pour écouter, pour chercher à savoir. Rien n'est caché, mais rien n'est dit. Et ce silence signifie que tout est toléré, accepté, tant que ça ne fait pas de bruit.
L'organisation du village est tellement banale qu'elle en paraît presque caricaturale : le noble, le prêtre, l'instituteur, le médecin, les paysans. Parce que Haneke joue sur un aspect intemporel de ce qu'il raconte. La preuve : pendant l'immense majorité du film, on ne peut pas situer précisément la date de l'action. Ce procédé augmente l'aspect intemporel de l'action.
Une action qui a un caractère lent mais inexorable. Tout ce qui arrive découle logiquement de la situation sociale présente. Mais les conséquences dépassent largement le seul cadre de l'action. Comme souvent chez le cinéaste, il y a une description empirique du mal plus ou moins bien enfoui en nous.
N.B. : le film est très bon, mais je crois que Haneke aurait plus mérité la Palme pour Caché.