Le samouraï qui refusait de faire seppuku

Je ne sais pas si l'ambiance pesante (mais non dénuée de touches satiriques fonctionnant comme des soupapes) qui règne dans "Le Sabre de la bête" est plutôt due à la période de la sortie du film, le milieu des années soixante, ou plutôt au temps du récit, situé en 1857 à la fin du Shogunat Tokugawa, mais l'omniprésence des trahisons, des manipulations et autres turpitudes est vraiment très particulière. Les codes du bushido évoqués en introduction avec les différents clans, comme dans tout chanbara classique, s'effacent très rapidement pour laisser place à toutes sortes de faiblesses et de compromissions de la part des brigands comme des hommes de meilleure réputation. La volonté de questionner voire railler les conventions qui régissaient la société d’alors est manifeste, et ne se situe pas si loin des thématiques chères à Kobayashi (pour changer) et compagnie.


Le personnage principal, Yuuki Gennosuke, victime d'une infâme machination, est trahi par le conseiller de son propre clan qui lui avait fait miroiter une haute condition sociale en échange d'une bien basse besogne. Il s'agissait en réalité d'un vil traquenard monté par le chef du clan pour s'assurer un plus grand pouvoir — dont il ne verra jamais la couleur. Gennosuke, en fuite, devra se débattre comme une bête, avec sa tête autant qu’avec son sabre, pour survivre dans un environnement hostile (une montagne assez bien exploitée, avec notamment le cours d'eau porteur d'informations diverses). Mais étonnamment, c'est lui, l'exclu, le paria, le ronin sans honneur (apparente) qui n’a pas daigné faire seppuku, qui fera preuve des plus grandes qualités humaines. Ne disait-il pas, en préambule, "the sword is my only road out of obscurity"... Tout son entourage se résume à des luttes de pouvoir, une cupidité malsaine, un appât du gain caractérisé, autant de déviances auxquelles il n'aura de cesse d'opposer son sang-froid et sa détermination. La trame narrative assez dense s'épaissira encore davantage quand il rencontrera le très charismatique Jurata Yamane (Gô Katô, assez classieux), un orpailleur en charge d'une mission spéciale pour un autre clan et aux intentions plus floues. Leurs trajectoires similaires les pousseront à faire cause commune, envers et contre tout.


À noter que "Le Sabre de la bête" prend parfois des allures de satire, et plus particulièrement quand une musique aux curieuses sonorités vient souligner les bassesses des uns et des autres. Car c'est bien là le cœur du film : mettre à nu, d’autant de façons possibles, l'hypocrisie générale, avec des combats faisant rage un peu partout, entretenant une tension sans cesse renouvelée du début à la fin. Comme si l'or, à la limite de l’allégorie, faisait perdre la tête à l'ensemble des personnages. Et si la tension érotique n'atteint pas les sommets d'autres classiques, la mise à mort d'un couple déchiré puis trahi (encore !) de toutes parts lorgne assez agréablement du côté d'une intensité dramatique à la Masumura.


(Avis brut #46)

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le 4 févr. 2016

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Morrinson

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