1985. C'est sur les terres d'Ingmar Bergman en Suède que Andreï Tarkovski décide de réaliser Le Sacrifice et d'y implémenter, pour l'une des dernières scènes, un immense plan-séquence bien connu maintenant de ses fans. Il s'agit de montrer le héros, complètement déboussolé se mettre à courir à la rencontre de diverses personnes, avec derrière lui, sa maison en feu. Celle-ci ne pouvant être brûlée qu'une seule fois, le réalisateur est obligé de réussir à filmer son plan du premier coup. C'est une véritable gageure quand on voit tous les comédiens impliqués dans cette scène.
Malheureusement, en pleine prise et alors que la bâtisse est déjà en flammes, l'unique caméra tombe en panne, ce qui empêche de tourner la scène. Le plan est perdu et tout le décor est en cendres sous le regard dépité de l'équipe. Tarkovski doit vite trouver une solution. Heureusement, les producteurs lui disent qu'il y a moyen de reconstruire la maison (seulement l'extérieur) en précisant toutefois que ce sera la dernière fois qu'ils acceptent de faire cela, le budget du film étant maintenant complètement dépensé. Tarkovski est donc prévenu, il n'aura plus le doit à l'erreur...
Après la restauration de la maison, nous voici le matin où l'équipe de tournage s'apprête à retourner la fameuse séquence. Si Tarkovski semble de bonne humeur, on se doute bien qu'une certaine nervosité l'habite car s'il échoue encore, sa fin sera complètement ruinée et il devra en créer une autre.
Des comédiens aux techniciens, tout le monde est concentré sur la tâche qu'il a à accomplir. Lorsque la caméra démarre, Tarkovski est concentré et déterminé à réussir ce plan. Au final, il le fait avec maestria, proposant une longue séquence de plus de 5 minutes. C'est sous les applaudissements de toute l'équipe que se termine ce tournage à la fin si fastidieuse.
Et Maintenant...
Cette histoire nous rappelle donc à quel point au cinéma, capter un un instant précis de la vie peut se révéler un véritable défi, surtout en plan-séquence. Cela demande de la part du réalisateur d'avoir un vrai don de coordination et de direction, à l'image d'un chef d'orchestre gérant sa troupe de musiciens. D'ailleurs, c'est sans doute toute cette difficulté d'élaboration qui nous rend admiratifs face à ce genre de plan.
Bien sûr, de nos jours il est bien plus aisé de réaliser un plan-séquence grâce notamment aux trucages informatiques. Ceux-ci peuvent rendre une scène bien plus maîtrisée et virevoltante mais aussi, paradoxalement, moins impressionnante du fait que la prouesse humaine se trouve diluée dans un enrobage numérique. Une scène comme Le Sacrifice nous rappelle donc une manière, désormais ancienne, de faire du cinéma, consistant à dompter la nature et les événements, et ce sans l'aide de l'ordinateur.