Je vais sans doute me faire crucifier par une partie des membres qui adorent ce film, mais je trouve que Sorcerer de Willian Friedkin est de loin la meilleure version du Salaire de la peur. Pourtant, Le Salaire de la peur d'Henri-Georges Clouzot, sorti en 1953, avait tout pour me séduire. Déjà, les têtes de liste Yves Montand et Charles Vanel. Ensuite, la photographie impeccable et, enfin, le scénario particulièrement efficace qui est sans doute l'un des meilleurs pitchs de départ pour un film.
Le Salaire de la peur raconte l'histoire de quatre âmes damnées qui se retrouvent au fin fond d'un pays d'Amérique Latine indéterminé. Le village dans lequel ils résident s'apparente à une prison à ciel ouvert où la seule chose à faire est mourir à petit feu entre deux bouteilles d'alcool. Ces âmes damnées sont Mario, un petit connard misogyne et imbu de lui-même, Jo, un gangster visiblement en cavale, Luigi, le cuisinier du village étrangement jovial et Bimba, un mineur. Ces quatre lascars sont coincés dans ce village et n'ont aucun moyen de s'en sortir, sachant qu'il se situe au beau milieu d'un désert et qu'il leur faut beaucoup d'argent pour pouvoir obtenir un passeport. Une opportunité se présente à eux : un incendie gigantesque s'est déclaré dans un puits de pétrole et la compagnie locale a besoin d'explosifs pour pouvoir l'éteindre. La seule façon de transporter cette nitroglycérine hautement instable est par la route. La tâche est jugée bien trop dangereuse par les employés de la compagnie, alors celle-ci se tourne vers les habitants du village : ils doivent conduire deux camions sur des centaines de kilomètres de routes quasiment impraticables pour atteindre le puits de pétrole où l'incendie fait rage. La moindre secousse, le moindre faux pas signe leur arrêt de mort en un éclair, mais la récompense à la clé est trop tentante pour eux et, de toute façon, ils n'ont pas vraiment d'autre choix.
Le Salaire de la peur est un film qui prend son temps et qu'on peut découper en deux phases tout comme Sorcerer. Dans la première, Clouzot place le décor et les personnages tandis que la seconde est dédiée au voyage. Ce qui me gène beaucoup dans Le Salaire de la peur, c'est que le film n'arrive jamais à rendre ces personnages intéressants à part Jo. Je ne me sens pas autant impliqué que dans Sorcerer, Mario reste un connard misogyne et raciste tout le long et les deux autres personnages n'évoluent pas non plus. Jo, en revanche, est de loin le personnage le plus intéressant et est à mes yeux le véritable personnage principal du film. C'est le plus humain et celui qui a le plus de facettes. Les séquences du convoi deviennent angoissantes et efficaces parce qu'on s'attache à Jo et qu'on le voit peu à peu se décomposer sous nos yeux, terrifié par le voyage et ayant réalisé qu'il avait fait une énorme erreur en participant. Les scènes avec les deux camions sont de loin les plus réussies, que ce soit au niveau narratif qu'au niveau technique. Le film est assez maladroit lors de la première, avec des transitions désuètes même pour l'époque et des longueurs interminables qui n'apportent pas grand chose. Cette deuxième partie n'en souffre pas et est diablement bien montée. Certaines séquences, comme le célèbre virage au bord d'un précipice, sont particulièrement bien réalisées et angoissantes. Ma préférée est celle dans laquelle un des camions avance extrêmement lentement pendant qu'un autre roule à toute vitesse dans sa direction. Le montage lors que cette séquence la rend extrêmement éprouvante émotionnellement, c'est de loin la séquence la plus réussie du film. La dernière partie du voyage est elle aussi très réussie. Les plans du puits de pétrole sont eux aussi tout simplement dantesques.
Mais voilà, le traitement des personnages dans ce film est vraiment faible et mes yeux roulent dans mes orbites à chaque fois que Linda se fait maltraiter par les personnages. Je ne pense pas que le côté misogyne apporte vraiment quelque chose de pertinent au récit. Si seulement Mario était plus que l'ébauche de personnage qu'il est. En plus de ça, je trouve la fin du film particulièrement ridicule, j'ai eu l'impression qu'elle avait été rajouté au dernier moment parce que Clouzot ne savait pas comment finir son film. Quel dommage, parce qu'encore une fois, la deuxième heure du film est vraiment superbe globalement. Ces points négatifs que j'ai cités me font largement préférer Sorcerer au Salaire de la peur, mais ce dernier reste un très bon film même si ce n'est clairement pas mon préféré du réalisateur.