Découvert grâce à sa récente édition au format blu-ray par le jeune éditeur français Roboto Films, Shogun's Samurai est un jidai-geki d'une grande richesse narrative et d'une belle vigueur formelle. Produit par la Toei à une période où le film d'époque était devenu désuet, et où celui de yakuza avait pris une forme de relève mythologique (clan, code d'honneur, etc...), Shogun's Samurai était le projet de la dernière chance pour le studio, qu'il finança grâce aux recettes engrangées par son parc à thème construit sur ses anciens plateaux et décors.
Et pour dépoussiérer le genre, la Toei contacta le réalisateur Kinji Fukasaku, grande figure du yakuza-eiga avec la série des Combat sans code d'honneur, et connu internationalement pour sa collaboration à la fresque militaire Tora ! Tora ! Tora ! . Intronisé nouveau gardien du temple du jidai-geki, Fukasaku ressentit une pression tout au long du tournage. La collaboration avec Kinnosuke Yorozuya, ancien acteur de Kabuki et grande figure du film d'époque, fut d'ailleurs compliquée : son interprétation trop théâtrale s'accordait mal avec celui de ses partenaires et la vision moderne recherchée par le réalisateur. "Son jeu était d'une force incroyable, je n'avais même pas besoin de le diriger mais, du coup, l'équilibre était rompu. Le déséquilibre était même total. C'était vraiment étrange, les autres acteurs avaient presque l'air démunis, désarmés, face à lui." confia le réalisateur. Un problème d'autant plus important que le casting était peuplé de stars parmi lesquelles les légendaires Sonny Chiba et Toshiro Mifune. Pourtant, à l'écran, la réussite est évidente : non seulement Yorozuya est dans le ton par rapport aux qualités de son personnage, mais l'ensemble se tient à merveille. C'était d'ailleurs lors du tournage de la séquence finale que Fukasaku prit conscience que le ton adopté par Kinnosuke Yorozuya était le bon.
Réécriture d'une page de l'histoire du Shogunat Tokugawa, Shogun's Samurai contient tout ce qui fait le sel de ce genre de récit : alliance, manipulation, trahison, assassinat et amour. La narration, malgré le nombre extraordinaire de personnages, se suit remarquablement bien. Une clarté qui permet d'apprécier la mécanique des coalitions à l'œuvre dans cette guerre intrafamiliale.
Côté technique, on constate que Kenji Fukasaku n'est pas un virtuose de la mise en scène comme pouvait l'être par exemple Akira Kurosawa. Mais il compense son absence de raffinement par une force brute : ses combats sont très vifs, voire un peu foutraque, mais vivants. Ses décadrages, devenu sa signature, apporte en outre un supplément de dynamisme à sa réalisation. Le film accuse en revanche un peu son âge : certains trucages sont visibles et grossiers, et l'accompagnement musical est très daté années 70. Des attributs qui ne gâchent heureusement pas le spectacle qui nous est offert, qui se bonifie par ailleurs de minute en minute jusqu'à un final assez inoubliable.
L'accueil que le public réserva à Shogun's Samurai fut extrêmement positif, achevant ainsi l'exceptionnel destin de ce film que l'on peut désormais découvrir dans de bonnes conditions.