Je suis content car je ne pensais pas qu'Argento avait fait un bon film durant ces 20 dernières années. Celui-ci en est un. Il repose, avec son dernier film Giallo, sur une même ligne directrice et est régit par un même questionnement, qu'est-ce que l'horreur et l'effroi aujourd'hui, comment les mettre en scène, est-ce que le giallo a encore sa place, d'une certaine manière, dans la société actuelle. Mais alors que dans Giallo il créait une confrontation cinglante, le Giallo, le tueur, inséré dans un univers de film d'horreur actuel et qui doit, pour séduire ET fonctionner, délaisser ses propres codes pour en arborer de nouveaux, ici, on a plutôt une tentative de faire coexister le giallo avec un décorum moderne.
Tout le film repose sur ses débordements, sur sa manière de faire percer, à travers le réel d'une nouvelle époque, des éléments symptomatiques du cinéma argentien, encore ancrés dans la période 70's et 80's. C'est le cas de la musique des Goblins par exemple, qui fait replonger le spectateur dans un univers malaisant rappelant Profondo Rosso et autres modèles de l'époque. Mais, plus finement, ça se matérialise par des éléments de décors, une maison, une cave, mais également par des agencements de plans. A travers une imagerie très réelle, Argento parvient à faire surgir du baroque, du bizarre. Mais il le fait intelligemment, pas de façon plaquée, en tentant de l'imbriquer à une nouvelle façon de percevoir les choses, la vison est quelque chose de fondamental chez lui. C'est un giallo, un pur, un vrai, tous les codes y sont, de l'apparence du tueur, à la violence des crimes en passant par l'imagerie de celle-ci : arme blanche, excès sanguin, gants,... mais en y ajoutant une touche de l'époque actuelle, comme une mise à la page, une cruauté plus appuyée, une ironie et un second degré malsain, une imagerie porn gore poussant les plans à l'extrêmes.
L'excès ne se matérialise plus à travers le plan, pas de variation de lumière, de couleurs, mais à l'intérieur même du plan, au niveau de l'action et des situations.
Au fond, Argento se fout royalement de son intrigue, et dans un sens cela participe également à son processus de dénigrement, une intrigue tarabiscotée, qui peut rappeler celle de Scream, sorti peu de temps avant, au service de pas grand-chose, d'un point de vue narratif et émotif. Tout repose sur l'effet, sur le moment, sur le plan, sur la terreur de l'instant, sur l'esthétique du meurtre. Ce n'est pas un film de scénario, c'est purement de la mise en scène, de la mise en scène qui parvient à mettre en scène l'horreur et la peur comme peu de cinéastes savent la proposer. A ce titre, et même si malgré tout le film baisse ensuite, la première demi heure est d'une grande maitrise, et engendre une implication du spectateur et un effroi redoutable. Après ça dégringole quelque peu car Argento revient sur du scénario, sur de la narration linéaire et non plus sensitive. Mais malgré tout ça fonctionne, ça se tient, et l'exercice qu'il propose, en plus d'être vraiment intéressant d'un point de vue théorique, est plutôt jouissif à suivre.
Teklow13
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le 13 févr. 2012

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