Le Sang des innocents est un curieux cas d'école. Un giallo longuet, un whodunit potache, un film hybride de grand maître fatigué. Argento, à la fin des années 90, accumule les échecs artistiques, avec ce film il revient alors à ce pourquoi il est reconnu, le thriller baroque à l'arme blanche, ce genre où il a tant excellé avec les films de sorcellerie. De Profundo Rosso à Trauma (avec la sulfureuse Asia "Scarlet" Argento), on a suivi l'oeuvre dérangeante et onirique de cet ancien acolyte de Sergio Leone (il a été le coscénariste avec Bertolucci de l'intouchable Il était une fois dans l'Ouest). Alors pourquoi voue-t-on une tendresse toute particulière pour ce film fatigué, dont la mollesse végétative fait -et ça fait peur- étrangement pensé à un interminable épisode de Derrick? Pour le numéro de cabot papy gâteau de Max Von Sydow? peut-être oui... Pour ces scènes de meurtre toujours aussi inventives et belles à se damner (ce train dans la nuit! ce long travelling sur un tapis rouge dans le hall de l'opéra! ah la la la la!)? Oui aussi aussi! Mais s'il on affectionne ce film c'est qu'on y voit Argento délaisser le chic du truc pour le hic du toc. À la manière d'un Hitchcock qui à la fin de sa carrière ne signa plus que des films "mineurs", majestueux dans l'appauvrissement du style, témoignages d'un cinéma de marionnettes désarticulées où le décor se casse la gueule. Argento, comme Hitchcock, atteint alors une tonalité nouvelle, appauvrie et nue, donc toujours sublime. Car libre de tout foutre en l'air et de brûler les meubles avec. Après le saccage, ne reste plus aux héritiers qu'à piller les restes.