Dans un manoir perdu au milieu du temps et de l'espace, somptueux écrin pour ce film hanté par le souvenir des morts et tourmenté par des vampires immobiliers, un photographe ressuscite l'ancestrale technique du daguerréotype (jadis considérée comme voleuse d'âmes) et inscrit dans l'éternité ses modèles.
Cinéaste qui aime à interroger la limite, Kurosawa réalise avec le secret de la chambre noire un film entre deux genres, fantastique en premier lieu (léger comme de la gaze, incandescent, diaphane), mais aussi thriller psychologique (calculateur, réaliste, cynique). En outre, il noue une réflexion, récurrente chez lui, sur les frontières entre la fiction et de la réalité grâce à une dissolution des points de vue (qui voit? Qui raconte? Un personnage – et lequel? - ou un narrateur externe?) et de pertinentes allées et venues entre intériorité et objectivité. Le tout prend très bien, la magie opérant merveilleusement, comme le prouve l'une des meilleures scènes, celle où, dans la serre, apparaît le fantôme de Denise, la défunte épouse de Stéphane Hégray (Olivier Gourmet), d'abord corps lointain et vague puis visage effrayant dont les contours s'effacent pour revenir enfin à son immatérialité. En plus de la lenteur du mouvement, du très bon éclairage et de l'excellente composition musicale de Grégoire Hetzel donnant une légèreté glaçante à la scène renforcée par la peur paralysante éprouvée par Stéphane, la double temporalité qui se déploie des perceptions objectives et subjectives nimbe d'une aura trouble, vaporeuse et pleine d'un mystère séduisant cette rencontre de la vie et la mort.
Néanmoins, afin de maintenir en vie cette variation autour de la fiction et de la réalité, la vraisemblance apparaît en détriment parfois négligée, non respectée, ce qui égare un peu trop le public. Aussi, la lenteur voulue du film en général dessert certaines scènes, créant une attente et une tension seyant à l'ambiance spectrale, mais nous semble parfois excessive et superflue, comme un défaut maniériste, devenant parfois même insupportable.
Quoiqu'il en soit, un film digne d'intérêt réalisé par un vrai cinéaste.