Il y a chez Sirk une forme de classicisme dans la conduite du mélodrame que je n'aurais aucun mal à qualifier d'extraordinaire, d'incontournable, d'infiniment élégant. Toute la beauté des histoires d'amour contrariées me paraît dans cet écrin-là perceptible, intelligible même, elle fait sens et me semble bien menée, sans réelle anicroche. L'exécution du scénario est limpide, agréable. Les couleurs du technicolor sont chatoyantes et caractérisent très bien ce milieu des années 50.
Par contre, je m'oppose avec vigueur aux intentions quelque peu chargées voire ampoulées du film, à la teneur morale d'une subtilité pas franchement à toute épreuve. Toute la quête de rédemption du protagoniste incarné par le roc Rock Hudson (aka Bob Merrick : quelle carrure !) m'est apparue comme poussive, grossière dans ses articulations (la transition entre l'état de sportif décérébré et l'état amoureux fait peine à voir), et assez platement religieuse. Il y a des figures qui m'ont fait beaucoup rire, comme cette séquence en salle d'opération (une fois que Hudson a racheté ses péchés... pour devenir le sacro-saint médecin) où le héros hésite jusqu'au dernier moment, voit la sainte figure de l'ami divin (figure de demi-dieu en hauteur, depuis sa coupole, lui qui avait sorti un discours sur Jésus et sa volonté contrariée d'aider les autres) et prend son courage à deux mains... Il y a de quoi se gausser, tout de même.
Sirk a pourtant un talent certain pour mettre en scène des rebondissements amoureux, des coups du destin incroyables sans que cela ne paraisse "too much", outrancier ou ridicule. La plupart du temps en tous cas, donc, car la prise de conscience de Bob Merrick dans le film, passant de l'individualisme forcené et du culte de l'argent à une forme d'altruisme rédempteur n'est pas un exemple de rigueur et de subtilité narratives... Se soucier des autres, se dépasser dans le don de soi, lutter, savoir souffrir et se sacrifier pour la rédemption, et bla et bla et bla : aucun second degré là-dedans, aucun recul, c'est un peu trop brut de décoffrage à mon goût. Il y a quelque chose d'un peu trop simpliste, comme s'il suffisait d'être bon et généreux pour réussir dans la vie, surtout dans les années 50 : ça ressemble à s'y méprendre à de l'apologie de la bonne conscience à bas coût... Et puis la figure du mari de la nouvelle veuve est quand même oubliée un peu vite en chemin, comme éjectée du scénario. On pourrait également lui reprocher un recours à une musique un peu trop prononcée dans certains passages mystiques. Mais on peut aussi choisir de ne retenir que la beauté et l'élégance du mélodrame.