Quatre hobbits dans le vent.
Grand fan du classique de Tolkien, le cinéaste Ralph Bakshi, profitant du succès de son adaptation de "Fritz the cat", profita de l'abandon du projet de John Boorman pour proposer ses services au studio United Artists, dans le but de mettre en images une trilogie. Le deal sera réduit à deux films, avant que UA ne décide finalement de ne pas mettre en chantier le second volet, malgré le succès du film d'un Bakshi amer.
Plus proche du cinéma expérimental que de l'animation traditionnelle, "Le seigneur des anneaux" permet à Bakshi de jouer à loisir avec la technique de la rotoscopie, consistant à filmer des comédiens de chair et d'os, pour ensuite "colorier" les images obtenues pour un résultat plus fluide. Le cinéaste / animateur reconnaîtra quelques années plus tard que son utilisation excessive d'un tel outil était une erreur, et qu'il aurait du s'en servir davantage comme un brouillon que comme une fin en soit.
Visuellement, le film de Bakshi est donc très particulier et a bien évidemment affreusement mal vieilli. Les rares séquences en animation pure semblent désuètes et peinent à atteindre une certaine uniformité, tandis que les scènes en rotoscopie apportent un cachet étrange, à la fois raté et fascinant dans les moments censés être épiques. Ajoutez à cela un prologue en ombres chinoises horriblement cheap et un chara-design souvent à la ramasse (les hobbits ressemblent à des versions miniaturisés des Beatles, Aragorn à un catcheur sur le retour, Elrond à un empereur romain, Boromir à un viking, Legolas à un attardé mental...), et la déception est quasi totale.
Condensant "La communauté de l'anneau" et une bonne partie des "Deux tours" en un seul film de deux heures, "Le seigneur des anneaux" version Bakshi paraîtra incompréhensible pour qui ne sera pas familier avec l'univers de Tolkien, et ressemble finalement plus à un gros résumé qu'à un véritable film, aspect renforcé par l'absence d'un second film jamais tourné, le téléfilm "Return of the king" tourné deux ans plus tard étant un projet bien différent.
Malgré toutes ces réserves, qu'elles soient formelles ou narratives, il émane cependant de cette adaptation une certaine aura, un certain mystère, peut-être dû au fait que les adaptations de Tolkien étaient rares à l'époque (et encore aujourd'hui, en fait). Bakshi parvient même à mettre en boîte une poignée de séquences marquantes, à l'image de la première apparition du cavalier noire, terrifiante, et qui aura influencé Peter Jackson pour sa célèbre trilogie.