Le degré zéro de l'imposture
Un jour de décembre 2001, je suis allé voir, comme tout le monde, Le Seigneur des Anneaux #1 en salle. 2001 avait été une grande année de cinéma : The Barber, Les Autres, Mulholland Drive, Battle Royal... Je précise que j'avais 15 ans, et que je n'étais pas du tout hostile aux blockbusters, ni à la fantasy, ni au films de pas loin de 3 heures. Je n'avais pas lu le livre, de ce fait je n'avais pas d'attentes démesurées non plus. Et bien rarement me suis-je autant emmerdé dans une salle obscure. Je n'arrêtais pas de me dire "Tiens, Liv Tyler avec des grandes oreilles. Oh, Cate Blanchett avec les cheveux frisés." Elijah Wood m'a agacé dès le début, avec sa figure continuellement mélancolique et offusquée. Une scène m'a particulièrement marqué - dans le mauvais sens. Le groupe s'engueule pour je ne sais plus quelle raison, Elijah (je crois) s'interpose et dis les gars, la division c'est nul, pourquoi tant de querelles, on est tous ensemble contre les méchants, un peu de solidarité que diable, joignons nos forces et on va pouvoir faire encore 5 films de 3 heures derrière. Devant tant de sagesse et de mansuétude, nos vaillant héros s'unissent d'un seul homme. "Mon épée est tienne. Mon arc est tien". Le nain intervient : "Et ma hache !" Rire général dans la salle. Grand moment de solitude et de consternation pour ma part. L'histoire continue, ça prophétise à tout va, je commence à en avoir un peu marre, mais une règle un peu idiote que je me suis imposé me défend de sortir de la salle, pour qu'on ne puisse pas me dire après que je ne peux pas juger le film, ne l'ayant pas vu en entier. Et bien je dois confesser que je me suis endormi pendant une bonne demi-heure (ce qui ne m'est jamais arrivé, ni avant, ni après), me reveillant au moment ou Gandalf (je crois) semble être dans une bien mauvaise posture, avec des flammes qui jaillissent de partout. Ennui. Phrases au premier degré. Action. Ennui. Phrases qui se veulent toutes désepérément légendaires. Générique, enfin. Je sors sans rester pour le générique, hagard, mais libre.
Alors evidemment il y a beaucoup de mauvaise foi dans cette critique. Je l'ai vu en VF (pas moyen de voir un blockbuster en VOST à Rennes à l'époque), je n'ai pas revu le film depuis 13 ans maintenant, et evidemment je ne peux pas nier que le film est factuellement sublime et que l'univers semble avoir été respecté. Je n'ai regardé aucun des autres volets, ni Anneaux, ni Hobbit, et je n'ai toujours pas lu le livre. Et j'ai pris dans les années qui ont suivi cette projection un malin plaisir à dire que je détestais le film quand tout le monde l'adorait, tant il est jouissif, à l'âge de l'adolescence, de se démarquer de la ferveur unanime des autres. Je me suis souvent dis qu'il fallait que j'y retourne, que j'étais mal luné ce jour-là, que je passais peut-être à côté de quelque chose. Et puis, il y a quelques mois, je suis tombé nez à nez avec la bande-annonce en VF du dernier Hobbit. Deuxième phrase, voix gutturale : "Vous ne leur avez apporté que la ruine... Et la mort..." Ca continue : "C'était la dernière étape d'un vaste plan. Un plan... longuement muri." "Ces chauves-souris sont élevées dans un seul but... Pour la guerre..."
Ok. Après tout, on doit pouvoir vivre sans.