La détonation de l'indicible
Il est parfois difficile de parler de certains films tant ils sont principalement marqués par leur atmosphère indéfinissable. Marc Schultz a été champion olympique de ce sport étrange qu'est la lutte aux J.O. de Los Angeles en 1984, et a été instantanément oublié, même pas oublié, jamais véritablement reconnu. Sa solitude jure avec la vie de son frère, également médaillé, papa heureux qui, sans le vouloir, l'a toujours mis dans l'ombre. Et voilà qu'un certain John du Pont, milliardaire issu d'une longue lignée aristocratique, décide de l'inviter dans sa propriété et de le coacher en vue des prochains J.O., salaire mirobolant à l'appui. Schultz va d'abord déifier son "sauveur", puis les choses vont violemment se dégrader. Foxcatcher tire sa puissance de la discrétion de sa réalisation et de la puissance de son histoire. La photographie est magnifique de nuances de gris oppressantes. La lenteur de la narration capte des silences de plus en plus gênants. Peu à peu, un malaise diffus se propage, d'autant plus fort que le film multiplie les ellipses, nous laissant la liberté d'imaginer ce qui a pu se passer.
Rarement ai-je ressenti au cinéma un si fort sentiment de dégoût et de pitié pour un personnage. Que cherche réellement John du Pont ? À vivre la gloire par procuration ? À contrôler des individus ? À assouvir de manière détournée une homosexualité refoulée ? Carell fait une performance plus qu'oscarisable et réussit à incarner du Pont grâce à une voix désagréable et nasillarde - conséquence d'une prothèse nasale un peu ridicule, mais qu'on oublie assez vite. Chaning Tatum, dont je n'étais pas jusque là un grand fan, impose son jeu par sa présence physique et son verbe rare. Enfin, Marc Ruffalo mériterait une critique entière sur sa prestation, démarche simiesque, bienveillance discrète, trimbalant au gré des plans son sourire triste. Le final dans la neige, qui m'a rappelé Fargo, marque l'extinction du domaine de la lutte. Film humble, film marquant.