Que le temps passe vite… déjà onze heures depuis le début de cette remise en bouche en version longue, déjà onze heures que Bilbo a confié l’anneau de sa thurne à ce petit pénible de Frodo pour une quête qui ne s’est achevée qu’il y a une petite demi-heure, là où fut forgé l’ultime gadget de Sauron il y a tellement longtemps que l’imagination s’égare…

Difficile de ne pas avoir envie de revenir sur tous ces points calamiteux qui empêchent la trilogie d’être le grand spectacle définitif que tant d’entre vous semblent y trouver et qui m’empêchent, malgré quelques réparations bienvenues, de revoir à la hausse une histoire qui manque toujours aussi cruellement du petit supplément d’âme que contenaient si bien les livres d’origine…

Je pourrais disserter encore pendant quelques pages sur ces personnages mal rendus, sur l’abominable Orlando qui se ridiculise un peu plus à chaque épisode, sur Aragorn qui sombre dans le pénible, sur Pippin qui n’aura finalement jamais concrétisé les promesses que j’avais mis en lui lors du premier épisode, sur un Faramir massacré, malgré un physique propre à incarner comme de juste le petit frère de Sean Bean, jusqu’au ridicule, jusqu’à cette scène débile où Frodo se retrouve face à face avec un Nazgul qui a l’air de s’en burner autant que moi…

Et puis je pourrais aussi vous dire combien j’ai apprécié la petite tentative dans le garde à manger d’Isengard pour donner un peu de consistance à l’ensemble, même si l’essai se révèle peu concluant. Je pourrais aussi saluer Gimli, seul personnage à s’en sortir à peu près convenablement sur toute la durée de l’aventure…

Malgré tout, la déception reste la plus forte, il y a dans ce troisième roman deux scènes qui comptent parmi mes favorites : la montée d’Aragorn dans Minas Tirith après la bataille et le retour périlleux de nos quatre nabots dans leur chère Comté natale. De la première scène, il ne reste, même en version longue qu’un plan misérable de Viggo au chevet de Miranda, pas de quoi consoler un moine de la perte de sa chevelure, si vous voulez vraiment mon avis. Mes espoirs sur la seconde, bien aidés en cela par une mémoire défaillante qui m’avait fait effacer le blasphème impardonnable, furent effacés dès le début par la fin grotesque de Saroumane et de son petit chiot, facilité d’adaptation injustifiable lorsqu’on observe la fin du film. Le mépris professé pour la Comté dans les films aux dépends des grands enjeux qui ne tirent en réalité leur force que de leurs répercussions possible sur ce petit bout de terre paisible continue de m'attrister plus que de raison.

La fin, oui, enfin, les multiples fins, puisque j’en ai bien compté au moins six qui auraient pu tout à fait servir dans cette interminable demi-heure qui succède à la destruction de l’anneau. Je n’ai rien contre le fait de prolonger le finir après l’action, de prendre son temps pour abandonner ses personnages qu’on a suivis si longtemps, la dernière partie de l’œuvre littéraire, après la chute de la tension fait d’ailleurs partie des grands plaisirs de lecteur, quarante pages de sursis dont je profite à chaque fois sans me lasser.
Mais outre qu’en comparaison des mille six cents pages du livre, la durée filmique est disproportionnée, il ne faut pas oublier que Tolkien, lui, au moins, raconte quelque chose, il ne se contente pas d’empiler les adieux grandiloquents et les applaudissements de foule, non, il a l’habileté de surprendre en rendant le retour bien plus difficile que prévu et c’est cela qui donne à la conclusion son véritable intérêt. Une fois encore, Peter n’a pas compris grand-chose au livre…

Je pourrais aussi déblatérer quelques heures sur la moisson hilarante de récompenses obtenues par ce dernier opus, preuve s’il en était encore besoin que le grand marché des Oscars est devenue définitivement la proie d’un petits nombre de professionnel de l’élection qui se vantent d’ailleurs ouvertement de leur talent et marquent la victoire de la sous-traitance spécialisée dans ce genre de pratiques…

Je pourrais toujours m’interroger sur la place démesurée prise par ces films dans l’imaginaire collectif de votre génération (les quelques vieux briscards vous suivant me semblant plus souvent des exceptions qu’autre chose, voire des désespérés trop longtemps pour n’avoir eu que Willow a se mettre sous la dent dans leur jeunesse…), me demander si c’est votre Star Wars à vous, perdre mon temps à vous expliquer les qualités intrinsèques de l’un et les boursouflures de l’autre, mais je crois que j’y perdrai mon latin et vous votre patience.

Je pourrais revenir en détail sur toutes les laideurs de cet épisode, les morts-vivants dignes d’un train fantôme, le choix bizarre d’Elephant Man pour diriger l’attaque Orque, l’abominable émissaire envoyé aux portes de Mordor, tout en dents et mitre pitoyable, la réaction indéfendable d’Aragorn alors qui s’abaisse plus bas que les troupes adverses en un seul coup d’épée, l’ennui des batailles numériques, l’assourdissante pesanteur musicale, et je vous laisse deviner le reste…

Mais en fait, j’ai probablement déjà tout dit lors de mes deux critiques d’avant, je vais donc retourner à mon balcon et à ma vieille pipe et puis, peut-être que le mois prochain, dans une cambrousse perdue, à l’ombre de mon pommier fétiche, je relirai les bouquins en vous laissant sans remords votre amour immodéré de ce barnum trop froid pour mon cœur tendre et je me réchaufferai les poils des pieds dans le soleil d’avril, les doigts en éventail et la conscience au repos.

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le 14 mars 2013

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Torpenn

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