À l'origine, il y a le court récit d'une trentaine de page publié en 2006 sous le titre L'Homme Semence. Une narration censée être autobiographique en exposant un épisode de la vie de son autrice, une certaine Violette Ailhaud, née en 1835 et qui avait 16 ans lors du coup d'État du 2 décembre 1851 où Louis-Napoléon Bonaparte, président de la Deuxième République française, décida de conserver le pouvoir à quelques mois de la fin de son mandat alors que la Constitution le lui interdisait. Au terme d'un conflit de plus de 30 mois avec les républicains qui détenaient la majorité au parlement, ce coup d'État marqua la victoire des bonapartistes autoritaires.

Le récit de Violette Ailhaud, à l'instar de son adaptation cinématographique, débute au moment où les troupes bonapartistes assiègent son petit village. Elle voit son père, fervent républicain, ainsi que tous les hommes de la bourgade, être déportés. Les femmes se retrouvent ainsi seules pour faire face au quotidien et au lourd travail des champs. Au fil des semaines, elles s'organisent et décident que le premier homme qui viendra sera l'amant de toutes afin d'enfanter et ramener la vie au village. Jusqu'au jour où arrive Jean, un mystérieux maréchal-ferrant qui demande l'hospitalité. Homme cultivé et épris de littérature, Violette en tombe éperdument amoureuse malgré le pacte qui la lie aux autres femmes du village…

Le récit de Violette Ailhaud aurait été rédigé en 1919 et aurait été scellé dans une enveloppe qui ne pouvait être ouverte par un notaire qu'à l'été 1952, soit exactement 100 ans après les faits décrits dans la nouvelle. Une des lointaines descendantes de Violette l'aurait ensuite confiée aux Éditions Parole. Cette présentation a rapidement été considérée comme une imposture du fait de son invraisemblance et de son manque de cohérence avec la réalité historique. Le patronyme du personnage de Violette semblait par ailleurs inspiré de celui du chef de la rébellion républicaine qui s'appelait André Ailhaud et qui n'a pas eu de fille aux dates mentionnées. Une enquête d'un journaliste décréta que ni le nom de Violette Ailhaud ni celui d'aucun des personnages ou événements mentionnés dans le récit n'apparaissent dans les registres d'état-civil. Selon lui, l'œuvre littéraire aurait été écrite par Maria Borrély, romancière décédée en 1963. Finalement, en octobre 2023, l'écrivain Jean Darot, fondateur des Éditions Paroles qui ont publié le récit 18 ans plus tôt, révéla via une vidéo YouTube avoir lui-même rédigé L'Homme Semence lors de sa réédition chez Passiflore :

L'interview de Jean Darot

Quoi qu'il en soit, 7 ans avant cette révélation, la scénariste Marine Francen (petite-nièce de l'acteur Victor Francen, vu entre autres chez Duvivier dans La Fin du Jour ou chez Mocky dans La Cité De L'Indicible Peur) se passionne pour l'histoire de Violette Ailhaud et décide d'en réaliser l'adaptation. Et c'est avant tout la poésie prônant la liberté liée à la passion amoureuse du personnage de Violette qui la guide à se lancer dans cette aventure. Car honnêtement, le fond du roman, avec cet homme qui se plie au pacte des villageoises en manque d'affection et d'érotisme, la réalisatrice s'en moque éperdument. C'est d'abord cette communauté de femmes forcées à se serrer les coudes pour survivre qui l'intéresse. Sous l'impulsion de Blanche (excellente Françoise Lebrun, bienveillante, pertinente et guérisseuse à ses heures perdues) ainsi que sous l'égide de Marianne (parfaite Géraldine Pailhas, bien plus tendue et sanguine), ces villageoises restent égarées au milieu de nulle part, dans cette campagne profonde, bien qu'elles soient nées dans cet abîme de rien et maîtrisent parfaitement leur laborieux quotidien. Parmi elles, Violette, 16 ans, va apprendre à s'émanciper tout en conservant ses valeurs et sa parole donnée. Elle va se révéler, aimer, s'offrir et partager son admiration pour Voltaire et Hugo avec un homme tombé du ciel et dont les sentiments sont réciproques.

Avec un lyrisme étonnant, Marine Francen embellit son film sous l'œil avisé d'Alain Duplantier, son directeur photo, avec des plans somptueux au format 1.37 : 1. Magnifiant perpétuellement son actrice principale, Pauline Burlet (découverte par Olivier Dahan à l'âge de 8 ans dans La Môme où elle incarnait Edith Piaf enfant), tour à tour énigmatique et lumineuse, pudique et audacieuse. Et il y a également Anamaria Vartolomei dans un rôle beaucoup plus secondaire mais qui illumine l'écran à chacune de ses apparitions. C'est d'ailleurs pour cette dernière que j'ai voulu découvrir ce film et je serai sûrement passée à côté de cette romanesque histoire sans sa présence. Une bien jolie histoire qui, avant d'évoquer de sombres frustrations sexuelles (comme dans l'excellent Les Proies, autre irruption d'un homme dans une communauté de femmes, mis en scène par Don Siegel en 1971) dessine le somptueux portrait d'une femme amoureuse et libre avec un trait délicatement affirmé. Oui, un bien joli premier film.

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le 8 sept. 2024

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