Avec La jument verte, L’adversaire, Les granges brûlées, Monsieur Batignole, l’histoire du cinéma en témoigne : le plateau du haut-Doubs est une de ces terres rugueuses qui excitent les drames et révèlent la faillite des hommes.
Tout commence par un beau jour d’été sur les eaux du lac de Saint-Point. Vivaldi annonce la couleur : allegro – ma non molto… Les premiers plans, jusqu’aux derniers d’ailleurs, sont précis. Presque trop.
Le pitch est simplissime, grâce à un scénario qui ne nous prend pas en otage dans le dédales de ses rebondissements : Grégoire Duval, un notable de Pontarlier, pharmacien de son état, est pris d’une pulsion irrépressible en voyant les seins de Catherine (alias Françoise Giret), prendre un bain de soleil - sa beauté est une circonstance atténuante pour n’importe quel assassin qui a du goût. Redoutant qu’elle alerte le voisinage, il l’étrangle sans chichi. Mais la justice s’en prend à Sylvain Sautral, le loustic du coin, qui a une relation mouvementée avec la victime. Le coupable idéal en somme pour une petite ville immobile, où chacun tient son rang. Mais Duval est nommé juré et il prend les choses en main : il veut obtenir l’acquittement de l’innocent sans pour autant se dénoncer, (auto)convaincu qu’une « minute d’égarement ne peut pas effacer toute une vie respectable ». Qui payera l’assassinat de cette jeune femme délicieuse que personne ne semble pourtant regretter ?
Le réalisateur est du côté du salaud. Moins par provocation que par volonté de comprendre ce qui meut et émeut Duval. On devine un homme empêché par le monde, par lui-même, par sa femme, par les représentations sociales auxquels il participe tout en les méprisant. Doté d’un cynisme glacial, sa voix intérieure dit à son fils : « Mange ta soupe, pour grandir, pour devenir un assassin, comme papa. Ou alors fous le camp tout de suite. N’attends pas les évasions à heure fixe. Les voyages organisés »
Il y a chez Duval, servi par un Blier génial, tout le paradoxe de cette petite société contrainte et engoncée : l’anarchie, le dérèglement, vient des forces conservatrices. Le nihilisme de Duval est jouissif, grâce à un dialoguiste (Pierre Laroche) qui lâche la bride pour mieux tenir l’affaire : « Mais à quoi servait-elle dans l’édifice social ? C’est un élément dangereux par sa seule présence. De l’huile sur le feu », « On espère toujours le pire quand on a si peu de distraction », « L’effrayant bonheur de tous les jours avec la soupe des gens heureux. La soupe de tous les soirs. »
Blier semble presque régner sur la Ville. Il est chez lui à Pontarlier. Tellement chez lui qu’il y rencontre une pontisalienne pendant le tournage qui deviendra Madame Blier…
Dans la filmo pléthorique de Lautner, le septième juré compte parmi les premières œuvres et c’est sans doute l’une des plus réussies, à défaut d’être des plus achevées. Il manque des petits détails pour que ce superbe concerto devienne une symphonie fantastique : l’investissement de Duval dans le procès n’est pas crédible, les plans, comme certains dialogues sont parfois trop démonstratifs. La maturité n’est pas encore là : Lautner aurait du parfois retenir sa main, son bras, son intention.