Le Sergent noir
7.4
Le Sergent noir

Film de John Ford (1960)

Western judiciaire, militaire et humaniste de John Ford avec Woody Strode. Chef d'oeuvre. Adjugé !

Après mes James Bond d'été et mon polar de rentrée (« Ocean's eleven », que je n'avais pas vu depuis une dizaine d'année, comédie policière enlevée et de haut vol commanditée par Steven Soderbergh avec la fine équipe de lascars composée de la team à cinq Clooney-Pitt-Damon-Roberts-Garcia), voici que je m'embarque dans mes westerns de fin d'été.

Et plus précisement sur mon duel car ma liste westernienne que je m'étais fixée allait durer trop de temps en septembre-octobre en raison d'un planning chargé (ligue 1, ligue des champions, ligue europa, hommage Sean Connery, soirée Halloween, coupe du monde...).

Mon duel de western va donc s'appuyer sur « Les sept mercenaires ». La même année sortait, à pratiquement deux mois d'intervalle !, « Le sergent noir ».

« Le sergent noir » et « Les sept mercenaires » s'appuient finalement sur un duel entre 2 John.

Le premier est celui qui filme les grands espaces comme jamais et tel une légende, le second tourne l'action à son avantage comme un façonneur d'histoire. Soit le duel de deux pistoleros derrière caméra : John Ford et John Sturges.



Mais commençons par le film de John Ford : « Le Sergent noir ».


Synopsis. Un soldat noir est accusé d'un crime qu'il n'a pas commis : viol d'une jeune fille blanche et meurtre.du père. La cour martiale va tenter de démêler le vrai du faux. Le soldat a-t-il seulement une chance de s'en sortir ?


Tout d'abord, notons qu'il s'agit d'une adaptation de la nouvelle éponyme du romancier James Warner Bellah et scénarisé par lui-même (qui a collaboré avec John Ford sur « La charge héroïque » et « L'homme qui tua Liberty Valance ») et l'ancien journaliste Willis Goldbeck (scénariste sur le « Peter Pan » de 1924, « Freaks » de Browning, « L'homme qui tua Liberty... », …) qui se fait ici également producteur avec Patrick Ford, le fils du cinéaste d'origine irlandaise.


Il s'agit donc d'un western atypique car le lieu principal de l'action se déroule dans un lieu inhabituel, un tribunal. La fameuse cour martiale. Qui a le droit de vie et de mort sur le présumé coupable.

« Le sergent noir » est ce plaidoyer antiraciste, pour la liberté et à la gloire des Buffalo soldiers, régiment intégrant des afro-américains. Un plaidoyer pour le droit à la liberté individuelle.

La seule partie de poker à laquelle nous avons droit, c'est lorsque la cour se retire pour souffler. C'est ainsi le seul moment hilarant du film car tout le monde boit, fume, triche : une scène qui a tout l'air d'être mémorable !

Un western donc, oui, mais militaire (car procès en huis-clos il y a), qui s'érige en qualité de western judiciaire. Chose rare au cinéma !, et c'est tant mieux.


L'un des fameux borgnes d'Hollywood, bien avant Clint Eastwood, se dresse contre les laissés pour compte. Ici, une section de cavalerie américaine de couleur (les Buffalo soldiers). Nous retrouvons donc un thème cher au réalisateur de « Frontière chinoise », la bravoure, à travers la cavalerie qui n'a peur de rien couplé à cette histoire du coupable idéal qui est noir. Il y a donc ainsi un sentiment d'abandon et d'innocence du laissé pour compte qui n'a qu'une seule envie, connaître le fin mot de l'histoire. Le metteur en scène de la comédie « L'homme tranquille » défend ici la cause de l'humanité à travers le portrait saisissant d'un homme noir qui a combattu son pays tout en s'affranchissant de l'esclavage. Nous avons ainsi affaire à un western sociétal américain humaniste (sur lequel s'ajoute une étude de mœurs) qui anticipe le western européen des 60's (je pense bien sûr au « Dernier face-à-face », à « Django », « La mort était au rendez-vous »...).


John Ford filme toujours les grands espaces comme jamais : Monument Valley est toujours aussi impressionnante ! Maître Ford est ainsi doté d'un sens du cadre et d'une mise en scène à toute épreuve qui ravive les moindres couleurs du désert : excellentissime ! L'un des meilleurs réalisateurs de westerns, si ce n'est le meilleur, tant sa palette de mise en scène est irrésistible et à l'épreuve du temps ! Inimaginable !

Le début, avec cette chanson de générique certes vieillotte (la musique du pourtant Howard Jackson -le compositeur de « New York-Miami » et « L'extravagant Mr Deeds », tous deux de Frank Capra, c'est lui !- fait très cheap !), nous fait entrer de plein fouet dans ce tribunal de la mort où chaque vérité est bafoué selon chaque témoignage (et filmé de façon très expressionniste).

Le final, ce retournement de situation inattendu, est digne est digne de la fin d'un polar d'Agatha Christie.

Pour la dernière image, 'The end' a le don d'apparaître sur une colline qui a le don de s'envelopper en une couleur rouge sang sur l'image tout en s'estompant : dernière preuve que le metteur en scène du drame « Les raisins de la colère » est bien un maître du western moderne contemporain pour celui qui a utilisé tous les codes du western d'hier et d'aujourd'hui. John Ford en a seulement inventé les codes pour mieux se les réapproprier jusqu'à en donner tous les mystères qui entoure l'image du western. Ici, en tout cas, pour « Le sergent noir » qui est l'ultime mission du directeur de la photographie, l'artisan et styliste Bert Glennon (s'il s'est imposé dans les 20's avec DeMille sur ses « Dix commandements », il a porté de son esthétisme les Sternberg - « Blonde Venus », « L'impératrice rouge »-, les John Ford - « Je n'ai pas tué Lincoln », « La chevauchée fantastique », « Le convoi des braves »-, les Raoul Walsh - « La charge fantastique », « Sabotage à Berlin »-) usant tous les 'canons de l'image' face pellicule, d'une beauté sans pareille. Boum !

Le réalisateur de « La poursuite infernale » et de « L'aigle vole au soleil », avec le caméraman alias le chef opérateur Glennon qui se fait ici l'alter-ego du cinéaste par l'utilisation charnelle et substantielle de l'image, livre ainsi un western atypique sublime et qui donne dans le mythique pour toutes ces raisons.


A la barre des accusés (le casting) :

Constance Towers (ici au tout début de sa carrière, elle a notamment joué dans « Shock corridor » de Samuel Fuller et « Meurtre parfait » avec Michael Douglas) : la fille Mary. Très impliquée dans le fil conducteur de l'histoire, elle est la femme forte et dominatrice du récit qu'avait besoin « Le sergent noir » pour être ce western dur et âpre sur les libertés. Une interprétation en or. Joker !

Willis Bouchey (« Le port de la drogue » -toujours de Fuller-, « Une étoile est née » de Cukor, « La vengeance du shérif » de Burt Kennedy, ...) : le président du jury. Classe, impartial et totalement investi par son rôle.

Woody Strode (le cowboy au chapeau attendant Charles Bronson dans la scène d'intro de « Il était une fois dans l'ouest », c'est lui ! ...mais on a pu le voir dans « Spartacus », « Les professionnels » de Richard Brooks, « Cotton club » de Coppola, « Mort ou vif »), considéré comme 'le John Wayne noir' -au passage, c'est la première fois qu'un acteur noir dans le cinéma américain incarnait un héros-, est le portrait d'un soldat noble, digne et respectueux de son pays, désigné coupable par la cour martiale.

Non charismatique, mais avec cette stature, Woody assure un max et offre une interprétation majuscule et hors du commun de ce soldat Buffalo, présenté comme un héros, au prise de ce tribunal de tous les excès.

Parmi les seconds couteaux, Jeffrey Hunter, Juano Hernandez et Carleton Young -pour ne citer que ceux-ci-, en jurés et non-jurés (cavaliers, de la défense ou d'attaque!) sont tous convaincants à souhait (voir leur filmo respective pour s'en convaincre).


Pour conclure, « Sergeant Rutledge » (1960), échec commercial au box-office, restera ce western judiciaire mémorable de part les thèmes fordiens qu'il brasse (l'individu, la société, la liberté, les droits civiques, l'innocence, la notion de culpabilité, le racisme, la justice expéditive...).

Un chef d’œuvre absolu du genre (dans lequel, pourtant, les chevauchées ne manquent pas ! Encore merci au metteur en scène de la fresque « Le cheval de fer » !!!) et un beau western très attachant par le peintre européo-américain sur les mythes de l'Ouest.


Spectateurs, si vous êtes sur le banc des accusés, une innocence vaut bien un whisky ou un Woody Strode. La sentence ? La mort !


Accord parental souhaitable.



Après John Ford est passé le magnifique et toujours aussi 'magnificent' « Les sept mercenaires ». Et comme dirait McQueen : « ...jusqu'ici, ca va... ».

brunodinah
8
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le 9 sept. 2022

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brunodinah

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