"Judge Priest" (1934) et "The Sun shines bright" (1953) de John Ford
Deux adaptations de nouvelles de Irvin S. Cobb, Judge Priest et The Sun shines bright font un pont entre les débuts de John Ford et l'apogée de sa filmographie, grâce au personnage du Juge Priest, héros des deux films, sublimes l'un et l'autre. Judge Priest dure 1H20, il est dépouillé, un peu rugueux, mais très beau, peut-être son premier grand film (vite suivi du Mouchard, Steamboat round the bend et Stagecoach). The Sun shines bright dure 1H40, le récit est plus fourni notamment en personnages secondaires, la technique de Ford est parfaitement huilée désormais, et il est à ranger du côté de ses chefs d’œuvres. Dans les deux films, on est assez heureux de voir des personnages Noirs, encore assez au second plan et clichés dans Judge Priest, et plus développés et variés dans The Sun shines bright. Certes, toujours dans une vision paternaliste, mais avec beaucoup d'humanité, qui correspond à l'univers dépeint de cette ville du Kentucky au début du XXème siècle. Si le Juge Priest est joué par Will Rodgers dans le premier film et par Charles Winninger dans le deuxième, le seul interprète présent dans les deux films est l'acteur noir Stepin Fetchit. Egalement humoriste, Fetchit jouait toujours le même rôle de serviteur simplet, couard, un personnage qui lui valut des attaques sur la fin de sa vie dans les 70's pour avoir véhiculé une image raciste (parodiée par Samuel Lee Jackson dans "Django Unchained"). Fetchit se défendait de ses attaques, et il est plutôt réhabilité aujourd'hui par certains critiques qui y voient avec du recul la création d'un personnage burlesque similaire à Keaton ou Chaplin, mais noir, sans être forcément voué à symboliser tous les noirs, ni à les moquer pour ces traits spécifiques au personnage joué par Fetchit (comme Charlot, maladroit, perdu, de mauvaise foi, ne se moque pas des sans-abris). Pour en revenir à Ford, on sent, en tout cas, qu'il tend à montrer avec ce personnage joué par Fetchit dans les deux films que le Juge Priest, profondément lié en amitié à lui, se sent mieux avec ce camarade noir un peu simple qu'avec tous les blancs de sa communauté, dont il ne comprend pas certains agissements qui l'indignent : vengeances imbéciles, amertumes, bassesses... Dans les deux films, le parcours du Juge, à l'approche de la mort, consiste à dépasser l'immobilisme du grand âge (et de la bibine) pour tenter une dernière fois de réparer cette communauté. Dans The Sun shines bright, ce retour à l'action du Juge passe par la défense d'une prostituée et d'un jeune noir face au lynchage - au risque de retourner la communauté contre lui, et de perdre les prochaines élections. "Que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre" pourrait être le sous-titre des deux œuvres brillantes. Ford déclara par ailleurs que The Sun shines bright était le préféré de ses propres films.