La lecture du manga permet de saisir l'étendue de l'enjeu : restituer, voire même transcender les planches hypnotiques de Tanigushi. De très nombreuses pages sans le moindre phylactère. Des images purement méditatives sur l'essence de l'alpinisme et sa dimension spirituelle. Dès lors, comment s'approprier cet univers, qui par le mouvement et le son courent le risque d'une banalisation de l'exploit, voire d'une vulgarisation de l'alpinisme le plus extrême (il existe, entre Cliffanger et Vertical limit quelques rendez-vous manqués avec cet univers...)


Le Sommet des Dieux, c'est l'histoire d'un journaliste (Fukumachi), féru d'alpinisme, qui se retrouve par hasard sur la trace d’un grimpeur, outsider et oublié, compatriote de surctroît, et détenteur d'une preuve qui pourrait bouleverser l'histoire de l'alpinisme himalayen (à partir de là, nous serons entre initiés…).


La première bonne idée du métrage est de ne pas singer le trait si caractéristique de Taniguchi, et de proposer en lieu et place un design plus onctueux, plus souple, moins réaliste, mais en prise directe avec « la vie ». Du Japon contemporain il garde quelques gimmicks : Walkman pendant le footing, modèle vintage des ordinateurs portables etc. Au Népal — comme coincé entre plusieurs strates temporelle et anachronique, en passant de loin par les Alpes, tout semble palpiter.


La deuxième bonne idée, c'est de traiter le scénario comme un récit triplement initiatique : Habu (l'alpiniste surdoué) ; Fukamachi (le journaliste) ; et enfin le spectateur (parfois inculte en alpinisme extrême). Comme le manga, le récit est ponctué de retours en arrière, depuis l'enfance d’Habu, totalement hantée par l'ascension des sommets japonais, jusqu’à l'accident tragique qui va faire basculer son destin. On pourrait trouver que ce segment — plutôt didactique bien que ne ménageant pas les émotions— use de ficelle prévisibles, mais c'est l'occasion de rentrer progressivement dans cet univers, peu connu et surtout peu traité (à ma connaissance) au cinéma : le film de « montagne ». (Je ne parle pas des kilomètres de films Super 8 filmés par des amateurs dans les Vosges, évidemment) Ici, la montagne est le sujet, pas le prétexte.


Si le début du film peut sembler un peu bavard (la voix off), le dernier tiers coupe court à toute verve explicative pour laisser place à l'expressivité du tout image. Les paysages sont tout simplement somptueux à l'image du premier coup de soleil que nous voyons à travers les yeux de Habu lorsqu'il est enfant. Si personne ne sait vraiment ce que l'on cherche lorsqu'on défie les dangers de la montagne et de l'ascension dans des conditions extrêmes, la simple proposition graphique d’Imbert semble justifier cette folie. La montagne est traitée comme métaphore de la vie, voire même comme justification l'existence. C'est en grimpant que l'on se sent vivre, de la même manière que la vie prend son sens en acceptant ses épreuves tout en allant de l'avant. Il y avait dans le manga une dimension spirituelle latente, entre bouddhisme et animisme shintô. Le film y fait référence par l'autel et les drapeaux de prière qui ornent de camp de base d'Habu.


Lorsque arrive le challenge final, les travelling verticaux, assez nombreux, prennent toute leur importance tant d'un point de vue esthétique que dramatique. Ils soulignent subtilement la difficulté d'avancer, la résistance qu’oppose l'arrivée au sommet, les doutes et les faiblesses que ressentent les personnages. Le son aussi participe à cette plongée (si j’ose dire) dans le grand blanc : les craquement de sérac, le chuintement d’un début d’avalanche, la tension vibrante d’une corde pête à céder, le cliquetis des broches à glace, et même le silence, plus inquiétant que reposant.
Une séquence tout à fait exceptionnelle sera à même d’illustrer par le seul dessin ce que « démon de l’alpinisme » veut dire, quand Fukumashi fait face à son épreuve finale.


Il n'y a pas de morale au film, pas de discours, mais une simple perspective soulignée par les derniers plans : le sens de l'existence, c'est de chercher le sens de l'existence.

Ozano3000
9
Écrit par

Créée

le 22 sept. 2021

Critique lue 374 fois

Ozano3000

Écrit par

Critique lue 374 fois

D'autres avis sur Le Sommet des dieux

Le Sommet des dieux
Behind_the_Mask
8

Là-haut

Il paraît que Le Sommet des Dieux serait l'adaptation d'un manga riche et foisonnant. Il paraît que Le Sommet des Dieux serait réalisé par un français qui a bossé, par exemple, sur l'animation de...

le 19 oct. 2021

49 j'aime

4

Le Sommet des dieux
Fleming
7

Avec la neige pour tout linceul

J'ignore à peu près tout des mangas. Je n'aime généralement pas les films d'animation, les dessins retirant, selon mon ressenti, de la vérité au déroulement filmé de l'histoire qu'on regarde. Et je...

le 25 sept. 2021

38 j'aime

19

Le Sommet des dieux
Moizi
7

Plus d'intensité c'est possible ?

Cette adaptation du Sommet des dieux est, ma foi, tout à fait sympathique. Je dois lire le manga depuis une éternité (mais la flemme) adorant les histoires tournant autour de l'alpinisme. Déjà on...

le 27 janv. 2022

30 j'aime

5

Du même critique

Cure
Ozano3000
9

Leçon de ténèbres

Critique à chaud, après un unique visionnement… Découvert sur le catalogue de MUBI, suite au visionnage très réjouissant de Kaïro, Cure entretient avec ce dernier des conversations secrètes. Kurosawa...

le 31 août 2022

After Blue (Paradis sale)
Ozano3000
7

Les filles sauvages (titre envisagé)

After BlueAlors c’est quoi le dernier film de Mandico ? un énième road movie sur un prétexte vengeur (western) ? ou plutôt une histoire d’exil de la Cité en raison d’une faute commise et qui doit...

le 23 juil. 2022

Le Prénom
Ozano3000
4

Monnaie de la pièce

Voici un scénario simplissime, une mécanique très bien huilée, des dialogues le plus souvent mordants... mais AUCUNE mise en scène. Ni véritable huis-clos (il y a une scène en flash back onirique qui...

le 19 févr. 2022