Dans cette période de rattrapages des films qui sont sortis en début d'année 2024, après avoir vu "L'Homme d'argile" d'Anaïs Tellenne qui explorait dans une époque moderne le mythe de Pygmalion et qui était ma foi fort intéressant en plus d'être vachement beau, me voici face au successeur de Xavier Legrand que j'ai pu regarder sans avoir eu de retour quelconque, et sans a priori particulier.
Et ma foi, j'ai été extrêmement surpris par ce que j'ai vu ! Je pensais au départ assister à une découverte de dossiers familiaux qui ferait partir le film dans tous les sens, mais au final, on est face à un sorte de mélange entre un drame et un thriller, froid et extrêmement angoissant.
Pour faire bref, Ellias vit en France et est directeur artistique au sein d'une maison de haute couture française et gagne par conséquent très bien sa vie. Il est également sensible au niveau du cœur qui lui fait mal, sans vraiment connaître l'origine de cette douleur, jusqu'au jour où son père résidant au Québec décède. Il est contraint de devoir se rendre sur place pour s'occuper de toute la procédure liée à la succession et aux funérailles. N'étant pas très attaché à son père, il pense pouvoir régler ça rapidement, mais des évènements imprévus l'obligent donc à rester davantage sur place.
Je préfère ne pas en dire plus et vous laisser la surprise de la découverte car c'est l'une des forces du film, c'est qu'on ne se doute pas de ce qu'on va y trouver. Déjà pendant la première demie heure, on est frappé d'un malaise certain (difficilement palpable, mais bien présent), car les personnages de ce film ont un niveau de vie certain (et c'est un euphémisme), et s'en contrefoutent des liens familiaux. Il y a déjà un malaise par rapport à ça, notamment entre le fait que tous les acteurs des funérailles et de la succession souhaitent prendre leur temps pour permettre au fils de mieux faire face à sa peine alors que celui-ci envisage cette succession presque comme une corvée (c'est à peine s'il est aimable).
Donc Ellias se rend chez son père, et fouille successivement toutes les pièces de la maison pour y faire le tri. Beaucoup de portes sont fermées, et il faut utiliser beaucoup de clés pour pouvoir y accéder. Puis on voit qu'il y a une porte qui mène vers un sous-sol, et aucune clé ne peut l'ouvrir. Et on sait déjà rien qu'avec ça, que l'attention va se porter sur ce sous-sol, quand bien même le fait de ne pas pouvoir l'ouvrir est traité de façon banal, on imagine quand même qu'il a quelque chose de spécial.
Et c'est à ce moment là qu'on entre dans la partie (à mon sens) la plus intéressante du film. Xavier Legrand (qui utilisait déjà vachement bien la photographie du film pour créer une atmosphère froide, rendant les personnages sans empathie, et les situations inconfortables), va se servir brillamment du montage, des choix de plans, et des jeux de lumière pour créer un sentiment d'angoisse qui s'installe petit à petit au début avant de devenir carrément étouffant. Puis il y a cet espèce de climax au milieu du film où l'angoisse déjà présente se transforme en effroi palpable qui nous assaille alors que si on prend du recul il n'y a aucune raison.
Le travail du son est également à mentionner en ce que la première partie du film utilise un thème récurrent pour la musique qui contribue au malaise ambiant de la première demie heure, puis le silence devient total et contribue à l'angoisse folle qui nous met à la place du personnage, tellement angoissé qu'il en perd son français et se met à retrouver un accent québécois (idée assez folle je trouve).
Et puis il y a cette fin.. au départ, je n'ai vraiment pas su quoi en penser et j'ai été assez dubitatif avant de vraiment tout saisir qui était quoi et de la trouver presque aussi bien que l'idée que je me faisais de la situation au départ. En tous cas, elle ne constitue pas nécessairement (car elle est extérieure à la mise en scène) le point fort du film (même si en tant que telle, elle est absolument atroce en tout point).
Quelques petits défauts du films : on insiste beaucoup dans la première partie du film sur l'aspect de fragilité cardiaque (et respiratoire) d'Ellias qu'il semblerait avoir hérité de celle de son père, mais cet aspect finit par être évacué après avoir été pourtant superbement utilisé lors de la meilleure scène du film. Il aurait pu être l'objet de tensions qui auraient fait basculer le film dans une autre dimension, plus insoutenable, plus étouffant.. Moins important encore, mais hormis au tout début du film, on est très peu exposé à l'aspect de couturier et de directeur artistique d'Ellias qui a pourtant son importance vu qu'il met en place en quelque sorte cette esthétique froide qui restera pendant tout le film.
En tout cas après le film "Jusqu'à la Garde" (que je n'ai pas encore vu mais dont les retours sont quand même assez bon), Xavier Legrand montre qu'il sait manier une caméra pour faire naître en nous un sentiment d'angoisse assez étouffant à partir de situations extrêmement simples, voir même sans qu'il ne se passe rien de particulier (ce plan fixe dans la forêt !!), et j'espère de tout cœur le voir continuer dans cette voie car il est très talentueux.
PS : je ne sais pas trop quoi penser du personnage de Dominique. Il n'est en tout cas ni une force, ni une faiblesse du film (excepté cette phrase qu'il lâche comme ça et qui est très peu appuyé par la mise en scène mais qui résume bien l'atrocité de la situation).