Alors que premier Syndicat du crime préfigurait avec brio tout le style de John Woo, le second était plutôt une parodie du premier où seules valent les trente dernières minutes où le réalisateur se lâche sur les scènes d'action, le troisième renvoie à la saga seulement de nom. A la suite d'une belle divergence artistique entre le réalisateur John Woo (qui pensait avec raison que cette saga prenait fin avec le second, et partit filmer sa propre version de l'histoire dans Une balle dans la tête) et le producteur Tsui Hark, ce dernier s'appropria complètement la mythologie entourant la saga en zappant les deux autres épisodes. Le seul acteur qui reste est CYF, projeté à une bonne dizaine d'années auparavant, au Vietnam en plein conflit avec la Chine (pas de mention au frère jumeau ni à son meilleur ami). A la manière d'un "Begins", on nous raconte comment la rage de ce personnage autour duquel le Syndicat du crime s'est développé. Et franchement, j'aime bien cette version, Tsui Hark réussissant à transformer un film de commande en quelque chose de très personnel et tragique dans l'âme mais à sa manière, et du coup il ne faut pas essayer de faire une quelconque comparaison avec les deux autres films de la saga sous peine d'être déçu.
Car en effet, Tsui Hark dépouille la saga de ce qui faisait sa substance pour mieux la réinventer en incorporant notamment un personnage féminin qui fait toute la différence, incarné par une Anita Mui bouleversante et iconisée avec ou sans gun et qui va habiller au sens propre comme au sens figuré, le personnage de Mark (son imperméable, ses lunettes de soleil, son style aux deux flingues, et finalement sa rage désespérée). Il faut voir comment Tsui Hark réglait ses comptes avec Woo en mettant en avant une femme tout en enlevant à Mark ce qui faisait sa force, en le ridiculisant à demi (une leçon qu'il reprendra pour la décupler dans son deuxième film avec JCVD). Ainsi, le côté polar/hard-boiled passe souvent au second plan pour mettre en avant un contexte bouillonnant (qui évoque celui de L'enfer des armes, les mouvements de foule en plus) et surtout un chassé-croisé amoureux touchant et dangereux (on pense à Shanghai Blues et surtout Pekin Opera Blues).
Par contre, Tsui Hark était loin d'égaler la maestria de John Woo dans sa manière de filmer les séquences armées (c'est souvent filmé en plan rapproché sans que la caméra bouge trop, mais visuellement au moins c'est efficace), et il faudra attendre sa période US pour qu'il développe pleinement ce talent en s'inspirant ironiquement de John Woo à son meilleur (ici il commençait déjà un peu à le singer avec un petit abus de ralentis). Sinon Tsui Hark répond présent à la photo avec ses beaux petits travellings et contre-plongées, et ses ambiances bleutées pour les séquences extérieures de nuit. Et surtout j'aime bien l'ambiance mélancolique qui s'installe à travers notamment un thème musical chanté par Anita Mui en personne, la classe.
Au fond, la durée du film est peut-être un peu excessive pour ce que ça raconte avec son intermède amoureux légèrement poussif, et ses nombreuses séquences insistant lourdement sur la corruption des douaniers, mais finalement ce n'est pas trop mal rythmé et ça remplit parfaitement son contrat en termes d'émotion (malgré quelques raccourcis sur les relations entre personnages, mais faut dire que l'alchimie entre eux fonctionne bien) avec l'exil de l'oncle qui ne se déroule pas aussi bien que prévu et surtout, bien sûr, cette destinée aux allures shakespeariennes qui se dessine autour de Mark, via sa relation torturée avec Kit, ce qui colle carrément avec la base de son personnage. D'autant plus que cet opus prépare en grandes pompes le retour de Tsui Hark derrière la caméra avec le non moins mélancolique Il était une fois en Chine.
En résumé, ce reboot du Syndicat du crime ne manque pas d'intérêt malgré ses quelques longueurs, avec en premier lieu l'iconisation du personnage féminin et la manière dont Mark est repensé à partir de ce dernier.