Le Syndicat du crime 3 par Jonathan Asia
Nous avons tous, passionnes du cinéma Asiatique, nos films fétiches, nos coups de cœur personnels, ceux qui nous retournent plus que de raison. Il suffit parfois d’une scène, d’une musique où de l’intensité d’un jeu pour que telle ou telle œuvre se glisse dans notre cœur pour ne plus jamais en sortir.
Le Syndicat du Crime 3, aka Le Chant du Crépuscule, est de ceux-là, pour ma part.
Prequel aux 2 films précédents de la trilogie de John Woo, avec qui il s’est brouille, Le dernier opus des A Better Tomorrow réalisé par Tsui Hark n’a quasiment plus rien à voir avec le reste de la saga mafieuse lancée 3 ans plus tôt.
Nous retrouvons ici le personnage de Mark (mort dans le 1) dans sa jeunesse au Vietnam, en 1974. Et il sera le seul lien avec le reste de la trilogie. Pas un mot sur Ken (même pas une petite ligne de dialogue l’évoquant, était-ce si dur ?) Exit donc tous les personnages familiers, on fait table rase de ce qui a été mis en place. Tsui Hark monte son film. Et il y met ses tripes, ses questions et ses angoisses.
L’action du film se déroule en majeure partie dans un Vietnam au bord de l’explosion. La scène ou Mark et son cousin Man, traversant la ville en cyclo et tombant sous le charme de deux jeunes femmes en scooter, n’est pas sans évoquer l’une des scènes d’Une Balle dans la Tête de John Woo, qui sortira l’année suivante. Le contexte des deux œuvres est à peu près similaire : la jeunesse de personnages innocents, qui vont être projetés dans l’enfer de la guerre, murir trop vite, et devoir se battre pour s’en sortir. Tsui Hark ayant passé sa jeunesse au Vietnam, on peut aisément y voir un parallèle sur sa propre enfance et son immigration à Hong Kong. Ici, chacun veut fuir, s’en sortir avant la chute et emmener ses proches avec lui.
C’est une des obsessions du métrage : La préservation de la famille à travers les épreuves. Toute l’histoire se met en place lorsque Man (formidable Tony Leung KF) organise le départ de son père, un vieil homme réticent à l’idée de laisser sa boutique derrière lui après tant d’années. Aide par son cousin Mark, qui n’est alors qu’un jeune homme insouciant incapable de tenir une arme en main ; ils vont alors rencontrer Chow Yin Kit, le personnage central de ce film. Au contraire des deux précédents volets qui étaient des films résolument « masculins », où les femmes n’avaient que des 3e voir 4e rôles ; c’est ici une femme autour de qui tout va graviter ici.
Anita Mui, sublime et pleine de grâce, incarne une femme d’affaires, tout en charisme et en détermination. Tour à tour impitoyable puis fragile, combattante puis amoureuse, son personnage est génial, subtilement interprété. Dans l’attente de son mentor en fuite, elle va redécouvrir les joies de la vie simple au contact des deux cousins, l’amitié puis l’amour. Jusqu’à ce que Ho ( Saburo Tokito), celui qui lui a tout apprit, refasse surface et se joigne à la galerie des personnages. L’affrontement est inévitable.
Loin des fresques mafieuses et des prises de pouvoir au sein de clans comme ses deux aines, A Better Tomorrow 3 est plus centre sur l’aspect psychologique des personnages. Aucun n’est inintéressant : que ce soit le père de Man ( Sek Khin) où bien Bak, le jeune vietnamien recueilli par ce dernier ; Chow Yin Kit, Ho, Man ou bien Mark, chacun apporte sensibilité et émotions, lors de scènes intimistes poignantes (le départ, les retrouvailles à Hong Kong). De ce fait, les scènes d’actions les impliquant sont très intenses et prenantes, et on a peur pour chacun. Loin des débordements ultra-violents et des centaines de figurants tombants comme des mouches, les gunfights du film sont moins chorégraphiés, mais tout aussi spectaculaires. Ils servent l’histoire.
A Better Tomorrow 3 n’est pas qu’un film sur la guerre du Vietnam : c’est aussi une magnifique et poignante histoire d’amour. Celle de Mark et de Kit, ces deux âmes qui vont se trouver et s’aimer dans un pays au bord du gouffre. Les deux acteurs sont sublimes, et leur alchimie traverse l’écran sans difficulté pour venir me happer le cœur. Toute l’ouverture du film, où ils se croisent à l’aéroport, est vraiment réussie : pas une ligne de dialogue, juste un doux rêve où Mark est subjugue par la beauté froide de Kit. Il tombe amoureux ainsi, en un regard, tel un adolescent, avant d’être rappelé à la réalité par la douane vietnamienne. Mis à nu dès les premières minutes, dépouillé et frappe, Tsui Hark semble vouloir briser le « mythe » construit autour de Mark et du 1er volet, faisant du héros un jeune homme naïf et un peu insouciant ; se chamaillant avec son cousin au sujet des filles et empote dès qu’il à un revolver dans la main au début de l’aventure. Il démystifie tout (dans le 1er volet, Mark disait n’avoir eu un revolver braque sur la tempe qu’une seule fois, ça arrive au moins 5 fois ici) et s’approprie complètement le film avec ses règles.
Nous suivons l’évolution psychologique de Mark, jusqu’à ce que Kit fasse de lui ce qu’il fut. Car savoir le personnage mort, tout en suivant sa jeunesse, apporte une plus-value émotionnelle à mon avis. Arrivant avec la naïveté de la jeunesse, il repartira, à la fin, éclaboussé par la dure réalité de la vie, de la guerre, et du sang plein les mains.
Anita Mui ne fait pas que jouer dans le film, elle signe également le thème principal de l’œuvre, comme Leslie Cheung l’a fait 2 fois avant elle. D’une puissance rare, tout en émotions et en nostalgie sur une instrumentale divine, la chanson marque les esprits (ça va faire 13 ans qu’elle tourne en boucle dans mon mp3). Tout le reste du film est accompagné par d’intenses passages musicaux, et même des thèmes repris des 2 premiers opus.
Film à part et totalement indépendant ; A Better Tomorrow 3 Le chant du crépuscule est un film nostalgique, empli de questions sur le futur d’une jeunesse en fuite ; mais aussi débordant d’amour et de sacrifices, de violence et de regrets ; porte vers le haut par un réalisateur qui signe là, à mon avis, l’une de ses œuvres les plus intimes, les plus belles, les plus marquantes.