[Noter sur 10 des films que je n'ai vus qu'une fois, et avec une connaissance variable du contexte de production, me paraît un peu artificiel. Je note donc 5 par défaut, et 10 ou 1 en cas de réaction extrême. Mes « critiques » rendent compte, en analysant principalement le scénario, la mise en scène et les représentations, dans une articulation entre esthétique et politique, les éléments qui m'ont (dé)plu, interpellé, fait réfléchir, ému, etc. Attention, tout ceci sans égard pour les spoilers !]
Même si j'ai apprécié sa mise en scène semi-improvisée et son humour ; même si je trouve son absurde prémisse (les deux membres d’un couple, pour soigner leur fertilité, doivent avoir des relations sexuelles avec toustes leurs ancien·nes partenaires) amusante, et la manière de l'intégrer au récit (dès lors qu’un médecin pose ce diagnostic, personne ne le remet en cause) assez plaisante, Le Syndrome des amours passées m'a laissé tout au long du visionnage un sentiment de l’ordre du malaise, voire du rejet. Je ne veux pas présumer de ce que le film, pensé par ses auteur·rices comme une « surface de réflexion » sur le couple et la famille au travers du prisme de la fiction, pourra mobiliser chez d’autres spectateur·rices, en particulier ce qui constituera probablement la majorité de son public, des personnes dont la situation sociale est semblable à celle des protagonistes : hétéros, exclusif·ves, blanc·hes et aisé·es… Ce n’est, en l'occurrence pas du tout mon vécu, et cette différence s'est ressentie tout au long du film. Je vais donc lister ici quelques éléments thématiques qui ont contribué chez moi à cet effet de distanciation, souvent parce qu’ils n’ont pas été abordés ou seulement effleurés, voire traités comme des plaisanteries.
Le sexe. Dans Le Syndrome des amours passées, le sexe est toujours bon. Il est mis en scène d'une manière abstraite, plastique, qui possède à la fois à quelque chose d'assez délicat et charmant, et en même temps finit par diriger mon imaginaire vers les codes de la publicité pour parfum. C'est quelque chose de très homogène, le sexe n'est jamais moyen, jamais nul, et, comme aucune forme de pratique n'est jamais ni montrée ni mentionnée, on a l'impression que ça fonctionne toujours pareil. Il est pourtant question d’une quarantaine de rapports avec des partenaires différent·es : ça n’est pas anodin ! Mais non, le sexe est désincarné, représenté avec une pudeur qui, à mon sens, dans une histoire où la sexualité est si importante, confine à la pudibonderie. J'y vois même quelque chose de l'ordre du tabou, comme quand on dit aux enfants pour préserver leurs innocentes oreilles que les bébés naissent dans les légumes ; c'est ce qui, après trois ou quatre scène de cet ordre, m'a fait chuchoter à la personne qui m'accompagnait au cinéma : « c'est moi ou on dirait des scènes de cul qui auraient été mise en scène par des puceaux ? ». Enfin, le sexe n’a quasiment pas de conséquences au-delà de cet aspect abstraitement positif et flatteur (quand Rémy a enfin passé le pas, il est sur un petit nuage) : aucune relation n'est vraiment marquante, on passe vite à autre chose, sans jamais perdre l'objectif final de procréation, à l'exception du moment de crise où s'y ajoute pour Rémy un objectif temporaire de multiplier encore les relations.
Mais d’ailleurs, c’est quoi, exactement, une relation sexuelle ? Dans le film, cela semble clair pour tout le monde, il n'y a pas de spectre, et toutes les relations qui sont montrées sous-entendent un rapport sexuel normatif complet – a priori avec coït et tutti quanti. Rémy a trois ex partenaires sexuelles, Alice en a 24, et c’est un compte clair, noir ou blanc, pas d’entre-deux. La réalité est quand même un poil plus complexe, et la question de qu'est-ce qui fait acte sexuel est potentiellement passionnante. Pour moi, cela aurait par exemple pu donner lieu à une scène enthousiasmante tant sur le plan intellectuel qu’émotionnel lorsqu’Alice retrouve un ex partenaire qui après elle n'a plus couché qu'avec des hommes ; il n'est pas vraiment opposé à l'idée en soi mais avoue être rebuté par le fait qu'elle est une femme et « ne pas bander » ; cela aurait pu être l'occasion d'un touchant brainstorming : comment contourner cet obstacle et accomplir l'acte médicalement nécessaire d'une manière qui respecte les besoins et les limites de chacune, voire leur permette d'y trouver une forme de plaisir – de bander ?
La réalité biologique de la paternité. Alice et Rémy n'arrivent pas à avoir d'enfant et, pour y parvenir, on leur propose un défi de taille, peut-être insurmontable. Rémy doit en particulier coucher avec Julie, sa demi-sœur. Le moins qu'on puisse dire est qu'elle n'est au départ pas du tout favorable à l'idée. Elle propose donc : « bon, on laisse tomber, tant pis, et vous adoptez » ; cette réplique, montée comme une boutade, me paraît pourtant une piste intéressante à explorer : pourquoi l'idée d'un enfant qui ne serait pas de leur sang paraît-elle aussi incongrue ? (D'ailleurs, quel est ce désir d'enfant ? Pourquoi est-ce toujours une telle évidence ? C'est une donnée du film, on ne saura jamais les motivations exactes du couple à avoir cet enfant – si elles existent –, de quelle vie iels rêvent concrètement. Cela suffit, “avoir un enfant”, what else?) À la fin du film, une pirouette scénaristique vient contredire un peu ce diktat biologique puisque, finalement, l’enfant d’Alice et Rémy est d’un autre père, un coup d’un soir juste avant la réconciliation ; mais, dans le même temps, une contre-pirouette fait apparaître un enfant dont Rémy est le père biologique, une ex dont il n’a absolument aucune nouvelle depuis huit ans et qui a, par choix, élevé seule cet enfant, et dans l’ellipse Rémy est rétabli comme père de l’enfant, qui fait partie de la famille au point de cosigner le faire-part de naissance : il y a là une évidence et une dimension de happy ending qui, à moi, ne me semblent pas limpides du tout.
L'épisode de Julie amène également la question du consentement. En tout, pas moins de 27 relations sexuelles sont nécessaires pour retrouver la fertilité du couple. Le présupposé est que ces 27 personnes finiront de toute façon par être consentantes, quelles que soient leur situation, leur relation actuelle aux protagonistes… Alice et Rémy ne se demandent jamais : et si quelqu'un ne voulait vraiment pas ? Et j'ajoute que cela met aussi 27 fois leur propre consentement en jeu. Là encore, mais avec un autre point de vue, le présupposé est que l’on a forcément envie de faire du sexe, du moment qu'on en a l'occasion. Mais, personnellement, à leur place, je ne serais pas aussi univoque. Même si j'avais très envie de ce que cela me permettrait d’obtenir, je n'aurais pas forcément envie de recoucher avec certaines personnes. Dans l'univers du film, on pourrait dire que la notion même de consentement n'existe pas : tout le monde est toujours plus ou moins d'accord, au pire il faut insister un peu, dépasser pour la bonne cause une absence de désir (l'ami homosexuel d'Alice) ou la jalousie d'un partenaire (le mari de Julie).
La relation libre. Si l’on peut parler d'une morale de l'histoire, celle-ci ressemble malheureusement à une sentence sans surprise : la relation libre, c'est mal, ou impossible, en tout cas incompatible avec les aspirations d'un couple “normal”. Faire l'expérience d’une relation ouverte donne brièvement des ailes à Alice et Rémy, puis les éloigne, et menace de détruire leur couple. Finalement, en refermant ce chapitre, iels se retrouvent enfin et atteignent leur objectif initial : faire un enfant. Le couple est présenté comme accompli parce qu'il réussit à se retrouver pour constituer une famille, mais certainement pas parce qu'il arrive, à travers l'écoute et la communication, à dépasser les obstacles au bonheur de l’une et de l’autre, par exemple en trouvant des modalités saines de relation libre qui leur conviennent à toustes les deux. Leurs dialogues sur le sujet sont pauvres, et pas très sains, leurs émotions s'expriment souvent par le sous-entendu, iels se tendent des pièges, se mettent délibérément en difficulté en attendant de l'autre qu’iel identifie leurs limites à leur place… Finalement, j'ai presque l'impression que le film agit comme une catharsis pour un couple exclusif qui pourrait faire à travers lui la brève expérience de l'ouverture tout en étant copieusement rassuré sur le fait que ce modèle-là n’est rien qu’un séduisant mirage.
Les ex. Je sais que tout le monde ne reste pas comme moi super pote avec ses ex, mais quand même. Sur 27 ex partenaires dans le film, on a Julie la demi-sœur de Rémy et 26 personnes avec qui le couple a plus ou moins coupé les ponts, dont on n’a plus de nouvelles et c’est OK. Dans mon univers à moi, c’est vraiment étrange – pas qu’on puisse les ponts, mais que ce soit la norme absolue. Aussi, le fait qu’Alice et Rémy, en couple depuis des années, ignorent presque tout de la vie sexuelle passée l’un·e de l’autre : personnellement, je trouve glaçante l’une des premières scènes, où iels dressent la liste de leurs ex, et les découvrent presque intégralement. Je me verrais très mal projeter de faire et d’élever un enfant avec quelqu’un que je connais si peu !…
Pour finir, je ne peux pas ne pas mentionner, car cela contribue également à l'amertume du goût que me laisse Le Syndrome des amours passées, que, même si c'est un couple qui est au centre de l'histoire, le protagoniste est encore et toujours l'homme, Rémy, dont l’arche dramatique est un trajet de masculinité archétypal et normatif. Peu expérimenté sexuellement au début du film, cette aventure lui permet de s'accomplir en multipliant les expériences et les partenaires, et, à l'issue de cette phase « étalon », de devenir un « bon père de famille ». Alice, elle, ne parcourt que peu de chemin si ce n'est par rapport à Rémy. Elle a 8 fois plus d'ex que lui à retrouver mais les coche les uns après les autres ; certains hésitent un moment mais finissent par accepter d’eux-mêmes, et voilà. Last but not least, la présence de corps racisés, qui participe sans doute d'une sorte de démarche de politiquement correct un peu comptable, mais reconduit en réalité des représentations problématiques : ce sont toujours des corps, et jamais des personnes. Des corps érotisés par la caméra, s’inscrivant dans une longue histoire audiovisuelle d’exotisation-érotisation, comme cette scène étrange, qui semble sortie d’un pur fantasme, où les deux colocataires (racisées) de Nora la rejoignent au lit avec Rémy.
En un mot comme en cent, Le Syndrome des amours passées, film assez original sur certains aspects, est dans son scénario une manifestation (stéréo)typique d’un modèle social bien particulier, la famille bourgeoise normée. Je ne m’y retrouve pas personnellement car je vis dans un monde bien différent, un monde où les relations se construisent et se réinventent, dans la communication et le respect ; et j’adresse également une critique politique plus large au final le modèle qui y est montré possède de nombreux aspects toxiques et oppressifs, et est de plus hégémonique au cinéma : on ne voit presque que lui, et c’est presque toujours à lui que les récits invitent à se conformer. Il serait tant que ça change, non ?