Un prolo, c’est gentil, c’est digne et ça courbe l’échine sans broncher. Un juif, c’est new yorkais, c’est riche, ça porte des lunettes d’esthète et ça sait quand applaudir en public. Un homme d’affaire, c’est compliqué, mais on dira que c’est Alex Lutz, comme ça on verra les fêlures et la grande ouverture d’esprit et on s’attachera bien fort à ce con de collectionneur de montres et de vielles bagnoles. Une femme moderne, c’est drôle, c’est doué, ça lâche prise, et ça couche avec l’autre femme moderne du film, comme ça, ça fait cinéma-2024.
Quel dommage d’avoir traité ce grand sujet comme un petit film cuisiné avec juste-quelques-petits-ingrédients-qui-marchent ! L’art spolié est un sujet magnifique et complexe qui devrait réveiller une foule de grandes questions (sur ce qui disparaît, sur la violence, sur ce qui est beau, sur ce qui a de la valeur, ce qui fait patrimoine, pour qui, pourquoi, comment). Et puis, quand l’histoire fait émerger un tableau valant fortune au milieu du salon d’un ouvrier de Mulhouse, comment ne pas parler de l’argent, de son indécence, de ceux qui en ont et ceux qui n’en ont pas ? Le film semble esquisser cette question via le destin du père d'Aurore, mais ne l’aborde jamais vraiment. Bien pire : petit prolo reste bien brave, bien courbé, tout du long. Au fond, ce film veut nous faire croire que tout est fini, tout est réparé, le jour où les millionnaires à lunettes applaudissent petit prolo pour son sens du bien commun et de l’histoire.
Quand bien même il n’y aurait ici que la réalité, qu’il est dommage de ne pas profiter de faire du cinéma pour justement, en faire ; c’est-à-dire pour offrir un point de vue, faire parler la réalité ! Aurore et l’avocate, personnages probablement fictifs, auraient pu permettre de construire ce décalage, mais l’une et l’autre sont absorbées par leurs quêtes secondaires – trop peu traitées pour être intéressantes. Pareil pour Wahlberg. Peut-être aurait-il pu être le personnage qui fait réfléchir le spectateur sur la filiation, l’argent, le drame de la spoliation des Juifs d’Europe, quitte à verser dans la pédagogie ? Mais là aussi, il apparaît principalement pour faire exister une semi-intrigue thrilleresque dans laquelle, par une ruse de débutants, le tableau aurait pu se vendre seulement un quart de son prix final (imaginez le scandale : seulement huit millions d'Euros !).