Une mer s’agite, des êtres s’agitent. Dans cette tension constante entre corps et décor, Jean Epstein transforme l’élément naturel en immensité tellurique dotée d’une voix et d’une présence physique autant lancinante que menaçante ; cette voix est produite par le ralentissement des sons que génère la mer, comme une entreprise dont le voyage résiderait dans la révélation du grand mystère à l’origine de tout, et contre lequel l’homme ne peut rien. Rien ? Seule l’imagination (la superstition encadre le récit) lui permet de rivaliser avec le chaos des forces environnantes, si bien que le fameux guérisseur des vents, figure inquiétante et sublime, cristallise dans sa boule les aléas de l’existence et la fatalité qu’ils font peser sur l’être. En accordant une place privilégiée aux voix – voix de la mer, chant de la mère, inquiétudes de la fille –, Epstein restitue le rythme de la vie intérieure de ses personnages et capte, par sa caméra, des fragments d’éternité saisis entre deux courses humaines, entre deux plans sur la machinerie infernale qu’est le temps du mortel. Et chacun de ces fragments prélevés apparaît comme une victoire : « dès maintenant, le cinématographe permet, comme aucun autre moyen de penser, des victoires sur cette réalité secrète où toutes les apparences ont leurs racines non encore vues », écrit le cinéaste. Le Tempestaire ventile l’espace-temps et fait de sa caméra un prolongement de son moi sensible, comme un poète creuse le vers au risque de n’y trouver que le néant. Car ici Epstein tire du chaos des forces en présence un souffle vital qui rappelle que le cinéma est avant toute chose un art en quête du grand mystère intrinsèque de l’homme au monde.