Jean Epstein : un phare dans la tempête. Cinéaste de génie, alchimiste des éléments et de leurs innombrables mouvements le prodigieux fils prodigue de l'avant-garde du Septième Art accouche en 1948 d'un court métrage testamentaire d'un beauté morganatique sans précédent : Le Tempestaire, véritable chant du cygne pour son réalisateur. Un point d'orgue d'expérimentations en tous genres, redéfinissant à l'infini la notion de rythme et celle de la cinétique pure et dure : un poème mêlé d'écume et de vent, de ressac et de nuages brumeux. Un chef d'oeuvre d'hypnose.
Au même rang que Les travailleurs de la mer de Victor Hugo Le Tempestaire de Jean Epstein rejoint les grandes pièces artistiques concernant l'Océan et ses éléments, la fatalité chimique sous laquelle ploie inéluctablement l'homme, reléguant au second plan ses aspirations pour la conquête et l'exploration ; il s'agit bel et bien d'un authentique ananké des forces maritimes dans ce poème au goût prononcé pour le mysticisme et le légendaire, d'un petit bijou de cinéma plaçant très haut la puissance des images et celle du son.
Prenant la forme d'un conte Le Tempestaire n'est rien de moins qu'un paradigme de montage et de photo-cinégénie. Epstein y pense chacun de ses plans par et pour leur durée et chacun de ses raccords, jouant de ses réminiscences et de ses recompositions temporelles à la manière des attractions des travaux de Serge Eisenstein et de Dziga Vertov ; il honore également l'héritage des débuts du cinématographe, reprenant les célèbres trucs du cinéma de Georges Méliès pour mieux leur insuffler sa propre identité artistique. En résulte un objet passionnant à contempler et/ou à étudier, capable aussi bien de s'adresser aux esthètes qu'aux exégètes : c'est sublime.