Avec ce film à costumes, le maître du polar urbain torturé opérait un surprenant virage et désarçonnait ses fans, car on est dans la très haute bourgeoisie newyorkaise des années 1870, totalement à l'opposée de ce qui se passait à l'autre bout de l'Amérique, avec son Far West rugueux. On navigue entre bals somptueux, réceptions huppées, grands airs d'opéra, salons feutrés, grands diners gastronomiques et cérémonie du thé au citron.
Mais le virage de Scorsese n'est qu'apparent car il nourrit son film des thèmes qui lui sont chers (culpabilité, désir, obsession, refoulement). Véritable autopsie des rites de la haute société newyorkaise d'une époque révolue, opulente et étouffante, le film gratte le vernis de cette société pour révéler les félures des personnages prisonniers des conventions et du conservatisme.
J'avoue que lors de mon premier visionnage il y a plus de 20 ans, tout ce decorum m'avait ébloui, un peu comme l'avait fait le Guépard, on y voit un étalage de luxe à peu près semblable, mais revu hier soir, j'ai trouvé tout ceci un peu ennuyeux par moment, ça parle beaucoup, ça mange, ça fume au salon, ça ne bouge pas beaucoup et surtout je n'y ai pas ressenti une émotion particulière, aussi je laisse ma note à 8, mais de justesse. J'apprécie quand même le raffinement dont Scorsese a entouré son film, la perfection de sa mise en scène, la beauté des décors de Dante Ferretti, celle des costumes et de la photo ainsi que la musique d'Elmer Bernstein, très adaptée au sujet.
La superbe reconstitution d'époque est également à saluer tout comme l'interprétation : celle de Daniel Day Lewis alors dans sa période beau gosse, est très fine, Michelle Pfeiffer trouve sans doute un de ses rôles majeurs, tous deux sont bien entourés par une Winona Ryder rayonnante, Geraldine Chaplin, Stuart Wilson, Richard E Grant, Jonathan Pryce, Michael Gough, Robert Sean Leonard ou Alec McCowen... Avec cette peinture d'un univers suranné, Scorsese réussit une oeuvre animée d'un feu intérieur, loin de ses films de gangsters.