Assurément, la tentative audacieuse de Raoul Ruiz d'adapter Proust n'est pas à rejeter. En effet, si probablement le lecteur de Proust ( je le suis) n'est pas complètement séduit par ce film nécessairement réducteur et parfois impuissant à traduire Proust de façon convaincante, il conviendra que l'oeuvre est celle d'un cinéaste talentueux et inspiré. En ce sens, au moins, où l'élégance de la mise en scène rejoint celle de l'auteur de "La recherche du temps perdu". Sa fidélité à l'esprit du roman, à la fine ironie de Proust, n'empêche d'ailleurs pas Raoul Ruiz d'imposer son univers à lui, baroque et inventif.
A vrai dire, on entre difficilement dans le film tant sa construction éclatée, son mélange des époques et les apparitions successives et inabouties des personnages proustiens, dont Ruiz brouille les relations qu'ils entretiennent entre eux, rendent complexe la mise en scène. Puis, progressivement, le récit s'éclaircit, le lecteur retrouve ses marques en même temps que les idées fortes proustiennes que Ruiz puise non seulement dans "Le temps retrouvé" mais globalement dans "La recherche". Et l'on se dit que le talent du film n'est peut-être pas dans la recomposition de l'oeuvre -évidemment inenvisageable- mais dans la possibilité qu'il offre au spectateur averti de recréer l'oeuvre à partir de ces fragments cinématographiques. Et -si l'on pousse loin le raisonnement- d'épouser, à l'instar de Proust et par analogie, l'"oeuvre retrouvée".
Plus formellement, on sera sensible aux qualités esthétiques du film (bien que le maniérisme du cinéaste agace parfois, quand on souhaiterait qu'il se consacre davantage au fond), à ces mouvements de caméra gracieux et subtils, à la beauté de la photographie comme à l'authenticité luxueuse des décors et accessoires. Les quelques scènes évoquant Balbec, superbement éclairées, sont à cette égard d'une splendeur remarquable.
L'aspect le moins satisfaisant, peut-être, tient à la composition des personnages. Si Marcello Mazzarello, extraordinaire de ressemblance et excellent dans le rôle de Proust-Narrateur, et John Malkovich, dans celui de Charlus -les deux rôles principaux- dominent largement la distribution, le talent des autres interprètes n'est pas en cause; simplement, il leur manque beaucoup de la matière proustienne et sont coupablement survolés.
Enfin, une question se pose tout au long du film: comment le spectateur profane peut-il recevoir l'oeuvre de Proust quand son adaptation apparait si complexe? Comment pourrait-il démêler l'écheveau proustien? Pour ce spectateur, qui ne dispose pas des clés, le film de Ruiz risque sans doute, hélas, de rester un pensum affecté et, surtout, obscur et ennuyeux.