Ou comment troquer une part de sa rude liberté contre un peu de confort
Cette arrivée intrusive de la modernité dans la petite vie autarcique, rude et bien réglée d'un petit village perdu au pied des sommets de l'Atlas marocain est un excellent prétexte pour un film, un vrai film de cinéma. et c'est peut-être là la grande réussite de ce documentaire : il se vit comme une fiction réaliste, et même presque comme une comédie. L'absurde de la rencontre du monde de l'administration et des gars du terroir est tellement palpable ! On a parfois du mal à réfréner les sourires et les rires.
On rit un peu jaune aussi. L'amertume grandit à mesure que les petits drames familiaux et communautaires nouveaux se trament. Tout a un prix, et on fait vite le lien entre électricité, interconnexion, désenclavement... et accroissement des inégalités. Mais il n'y a pas de manichéisme. Ou alors, les partis pris du réalisateur ont été suffisamment fins pour nous laisser maîtres de l'interprétation jusqu'au bout. Le spectateur peut-être le libre témoin de l'évolution des points de vue de chacun, à mesure que le chantier avance en direction du village, et que ses bienfaits commencent à être ressentis.
Il est aussi libre de se laisser bercer par les paysages, qui font l'objet de très belles images. Les saisons passent, et la caméra les saisit au vol, comme autant de pauses temporelles propices à l'émerveillement ou à la réflexion. A l'opposé, Les derniers instants du film viennent accélérer dramatiquement le temps, avec l'arrivée de la télévision. Les enfants qui jouaient sur les terrasses se retrouvent happés, bouche bée, par les images, et c'est comme si on les quittait en leur laissant un avenir sombre, dans lequel leurs désirs seront standardisés par la publicité et les programmes abétissants.
Le confort électrique, comme un puissant outil d'asservissement... Et pourtant, même si l'on peut penser que ce film exploite aussi le filon du "voyez comme c'était mieux avant", comment ne pas se demander comment on ferait sans... Est-ce une chance ? Est-ce un fléau ? Il y a bien du subjectif dans ce documentaire. Mais il semble ne jamais vraiment vouloir s'imposer, et il n'est jamais subi.
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