Le diptyque constitué du Tigre du Bengale et du Tombeau hindou prend la forme d’un conte : prenant place dans une Inde fantasmée, un architecte européen tombe sous le charme d’une danseuse sacrée, Seetha (excellentes scènes de danses par ailleurs et flamboyante prestation de Debra Paget). Un schéma narratif proche de celui, classique, du prince et de la princesse dont l’amour survit à moult péripéties, avec un antagoniste clair : une figure de pouvoir qui s’interpose et convoite la danseuse. Une trame peu originale pour un film pourtant très bon.
Cette histoire bénéficie d’un traitement visuel particulièrement adapté : cette Inde imaginaire (« Eschnapur » n’existe pas, elle est une pure invention de Fritz Lang et de Thea von Harbou, co-scénariste et autrice du roman d’origine) est filmée en décors réels (une exception faite pour ce tournage et le maharaja à l’origine de l’accord donné à l’équipe est remercié au générique) que Fritz Lang magnifie véritablement : il fait oublier une mise en scène plutôt académique par une photographie chatoyante qui rend véritablement justice à la richesse des lieux, par ailleurs très bien exploités, qu’ils soient extérieurs avec les jardins ou les rues, ou intérieurs avec le foisonnement des décorations, des fresques, mais aussi des souterrains. La dimension presqu’enfantine du scénario est donc retranscrite par un émerveillement constant, ce qui me semble être quasiment systématique chez les films de Lang que j’ai pu voir, Metropolis (1) et les Nibelungen tirant également parti de leurs décors et de leurs effets spéciaux pour raconter une histoire épique éloignée dans le temps ou l’espace. D’autant que si la variété des décors plaît, le film n’oublie pas d’en faire intervenir certains plusieurs fois ce qui a pour effet de provoquer un sentiment de familiarité avec ceux-ci, notamment à la fin du deuxième film où l’on commence à connaître même certaines parties des souterrains.
Évidemment, cela ne va pas sans quelques défauts, à commencer par la difficulté que peut avoir le film à passer des standards modernes : des acteurs allemands grimés en Indiens, je ne le pardonnerais pas à une production actuelle ; certains effets spéciaux, la palme revenant sans doute au serpent animé par des bâtons visibles à l’écran (ce qui est d’autant plus dommage quand la production se paie le luxe d’avoir de véritables tigres) et enfin certaines symboliques intéressantes explicitées par le dialogues. (l’oiseau enfermé dans une cage dorée qui fait écho avec la situation de Seetha, ou encore le beau-frère d’Harald faisant les cent pas mis en relation avec un tigre en cage, motif décidément récurrent surtout lorsqu’au détour de lignes de dialogues on se rend compte que les personnages étrangers sont véritablement pris au piège d’une luxueuse prison d’où ils ne peuvent s’échapper).
Un autre élément surprenant fût la différence notable de ton entre les deux parties : alors que Le Tigre du Bengale s’inscrit dans un ton de découverte d’un monde fantasmagorique, j’ai trouvé Le Tombeau hindou plus amer, et les intrigues amoureuses laissent place à une véritable intrigue politique, le spectateur assistant à un jeu d’alliance pour renverser le maharaja, consistant en quelques scènes de discussion de stratégies à adopter, des assassinats et une prise de pouvoir sanglante qui laisse présager un règne tyrannique pour la cité. Un ton réellement surprenant donc, d’autant que le couple principal étant séparé, on suit en parallèle personnages traités sur un pied d’égalité : le maharaja actuellement sur le trône (Chandra), Harald, le couple formé de sa sœur et son beau-frère, lui aussi architecte et l’alliance politique d’opposition au maharaja. Ainsi, cette deuxième partie fait plus figure de drame épique que de conte, même si le tout reste relativement simpliste. À ce propos, il est assez étrange de constater que les facilités d’écriture sont bien plus présentes dans cette deuxième partie plus « sérieuse », et si les gens ont l’air de reprocher ça au premier film, c’est surtout au début du deuxième que cela me paraît le plus flagrant (la scène résolue grâce à une toile d’araignée par exemple, que Seetha interprète comme un signe divin, mais que le spectateur interprètera quant à lui comme une astuce un peu facile de scénariste).
Il s’agit là d’un film aux allures de fresque épique et fantasmagorique, à la photographie et aux décors sublimes au service d’un conte plutôt enfantin aux thématiques parfois surprenamment politiques. Un beau livre d’image en somme.
(1)
Ça n’a d’ailleurs peut-être pas beaucoup de rapport, mais la scène où la dynamite inonde les souterrains me fait beaucoup penser à l’inondation de la ville souterraine de Metropolis, à l’exception près que dans Le Tombeau hindou, il s’agit là d’une satisfaction pour le spectateur de voir cet évènement arriver, là où il était dramatique dans Metropolis.