Voyage of Time aura irrité. Terrence Malick perd, au fil de ses films, ses spectateurs les moins accrochés et il est difficile de dire où commence la chute. The Thin Red Line et le début des voix-offs poético-philosophiques ? Le Nouveau Monde, qui perdure sur la voie de la contemplation ? The Tree of Life, qui semble asséner sa religiosité avec de nombreuses apostrophes à Dieu ? À la merveille, qui s’enfonce toujours plus dans le maniérisme de la mise en scène de Terrence Malick ? Ou Knight of Cups, dernier bastion de la méthode malickienne, avec plans magnifiques aux enchaînements aléatoires, un personnage mutique qui ne s’exprime qu’en voix-off, perdu mais avec style dans un Los Angeles filmé en grand-angle, et où la narration semble plus fine que jamais ? Song to Song, quant à lui et s’il est aussi beau que ses prédécesseurs, déchaîne moins les passions de ses détracteurs, qui ne sont plus guère surpris de la tournure qu’a prise la filmographie du réalisateur. Mais qu’en est-il de Voyage of Time ? Une œuvre-somme ? Ou un énième délire philosophico-mystique prétentieux et vain de la part d’un réalisateur en roue libre ?


Ne comptez-pas sur moi pour en juger : j’aime Terrence Malick, et j’aime sa mise en scène et tout ce que l’on peut lui reprocher. D’ailleurs, je préfère ses dernières œuvres quelque peu expérimentales à son académisme narratif de ses débuts (ce qui peut donner le meilleur, avec The Thin Red Line, comme quelque chose de plus anecdotique avec Les Moissons du Ciel).
Alors évidemment, j’ai aimé Voyage of Time. Même si j’avais peur, peur d’une esthétique fond-d’écran (honte à moi), peur que mon attente ne finisse par prendre le pas sur ce film, il n’en est rien. Voyage of Time, c’est l’aboutissement logique de quarante ans de travail de la part du réalisateur, mêlé aux recherches scientifiques, et au génie de l’équipe technique (Tom Lowe, Paul Atkins, Dan Glass …). Ce film, c’est une heure trente de contemplation sans relâche, des tableaux cosmiques aux paysages volcaniques et arides, de la simplicité des early humans à la sophistication des villes modernes : la diversité visuelle est telle que chaque visionnage constitue une redécouverte. Le son, quelque peu oublié mais très important dans l’œuvre de Malick (Knight of Cups est un régal en la matière), constitue là-aussi son lot de frissons : la météorite qui pénètre l’atmosphère et qui se sépare en un bruit assourdissant, le crépitement de la lave, tout est organique, sensoriel et le travail d’immersion est remarquable. La musique est également sublime, et apporte son lot de grandiose et d’émotion : là, deux passages se démarquent : le ballet des baleines accompagné par le Da Pacem d’Arvo Pärt, et l’ellipse grandiloquente entre les premières habitations à l’immense Dubaï, sublimée par le In Principio Erat Verbum, du même compositeur. Voyage of Time est aussi traversé par la voix de Cate Blanchett, la narratrice. Ces voix, ce sont des interpellations à la Mère (« Mother »), terme plutôt générique, mais où l’on devine la Nature en elle-même, et moins une entité déifique, comme ce fut le cas pour The Tree of Life (dont Voyage of Time est en quelque sorte un spin-off si l’on veut parler un langage hollywoodien). Ces interrogations, ce sont les mêmes questionnements universels qui parsèment la filmographie de Terrence Malick, sur la vie et l’existence. Ces mêmes interrogations qui, trop souvent, sont dites simplistes et pseudo-philosophiques, mais je ne m’aventurerai pas sur ce terrain, n’ayant pas le bagage culturel et intellectuel suffisant pour pouvoir en débattre. Mais étant donné la formation du réalisateur, je doute fort que ces voix-offs ne soient rien que de la poudre aux yeux. Car ce n'est pas parce que le propos paraît simple qu'il l'est réellement et pouvoir déclarer : "ce film est creux et les voix-offs pseudo-philosophiques sont ridicules et ne veulent rien dire", c'est à mon sens faire preuve d'un mépris sans nom.
Mais ces détracteurs se calmeront peut-être avec Radegund, qui, bien que le projet m'enchante peu, pourrait redorer le blason d'un réalisateur dont le prestige ne cesse de se détériorer depuis bien 2011.


Voyage of Time est une véritable œuvre-somme donc. L’aboutissement d’une logique, d’une certaine façon. Un film malickien, sûrement. Une œuvre d’un auteur aujourd’hui en autarcie dans le paysage cinématographique actuel. Une œuvre unique, référencée peut-être mais sans précédent. Un chef d’œuvre.

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le 18 mai 2018

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