Quel pari que de faire un film sur la fin du monde ! Comment réaliser un film sur ce thème galvaudé, comment surprendre le spectateur désabusé par tous ces blockbusters grandiloquents toujours dans la surenchère ?
Lars von Trier livre une expérience percutante, celle du visionnage d’un Melancholia habité par les tourments de son réalisateur, où l’extinction du monde et de la Terre, si elle est questionnée tout au long du film par les personnages, est irréductible. Et ça, le spectateur le sait : dans le prologue, on voit effectivement la planète Terre percuter et se faire absorber par la démesurée Melancholia. Une fatalité tragique en somme. Et ce propos nihiliste conduit par le personnage de Justine (la Terre doit être détruite, comme toute trace d’humanité) détonne dans le milieu hollywoodien, où même si l’on assiste à des destructions de plus en plus massives, l’espoir renaît à la fin et l’humanité est sauvée : ici, point de salut pour l’Homme, cette planète bleue achève sa « danse de la mort » par une collision brutale (cette fois-ci montrée à échelle humaine) : la fin du monde comme fin du film. Écran noir.


Melancholia est donc un uppercut qui peut paraître brutal décrit comme cela. Il n’en est rien : le film tout au long de ses deux heures, prend le temps. Il installe des relations sociales, des personnages, un lieu, une atmosphère. Cette atmosphère, c’est d’abord la pesanteur et la fatigue ressentie par Justine, engoncée dans sa robe maritale. Lars von Trier nous plonge dans cet état léthargique, nous suivons Justine au plus près, la voyons s’effondrer dans son lit, dormir, prendre un bain et se saouler pour faire passer le temps. Car oui, le mariage s’éternise. Pour un film censé montrer la fin du monde, passer une heure sur le mariage de son personnage principal peut paraître dérisoire, et le spectateur désespère de retrouver le sujet supposé du film. Lars von Trier s’applique également à nous faire prendre conscience de l’absurdité du mariage : ces rites étranges que Justine semble vouloir fuir (comme ce bouquet traditionnellement lancé par la mariée, qui se retrouve ici lancé par dépit par Claire) tout comme elle veut fuir une vie traditionnelle : le mariage qui tombe à l’eau, mais surtout un projet d’habitation initié par un mari bien plus ancré dans les conventions, qu’elle semble ne pas vouloir tant il représente une vie simple, presque arriérée. Puis c’est cet après, le lendemain du mariage, le point d’orgue de la faiblesse de Justine, qui peine à lever une jambe, et les efforts désespérés de Claire pour la faire « revivre ». Puis vient l’espoir : la découverte de cette planète qui peut éteindre toute vie sur Terre. La renaissance de Justine, et la chute de Claire. Et ce, garanti et justifié par leurs personnalités respectives : Justine est mélancolique, Claire ne l'est pas. Justine voit en la planète Melancholia une échappatoire, Claire panique.


Ce climat d’attente pesante est ponctué de retournements de situation factices (la planète s’approche, puis repart, puis s’approche à nouveau), qui rendent le personnage de Claire d'autant plus pathétique que nous savons. Nous connaissons l'issue. Cependant, cela ne rend pas ce personnage antipathique, au contraire. Notre capacité d'empathie est d'autant plus forte car nous pouvons facilement nous imaginer à sa place : ma mort approche, la mort de mon enfant aussi, et l'humanité disparaîtra à jamais. C'est alors Justine qui nous semble dure, antipathique : elle enfonce Claire dans son désespoir, martelant que cela ne vaut pas le coup de sauver la planète et le phénomène de vie, alors qu’elle était dans le chapitre qui porte son nom, le sujet de notre empathie.


Mais surtout, c’est dans cette deuxième partie qu’à mon sens le film devient le plus intéressant : car oui, Lars von Trier emploie des moyens simples mais efficaces qui font toucher Melancholia le statut de chef-d’œuvre : ce sont les animaux qui sentent la catastrophe à venir, avec ces insectes qui grouillent à la surface de la terre et les chevaux qui hennissent et s’agitent dans leurs enclos, le suicide d’un mari jusque là rassurant sur leur survie, ce château immense entouré comme d’une force surnaturelle qui empêche le cheval d’aller plus loin et qui fait tomber la voiture en panne quand Claire essaie de s’enfuir dans un acte désespéré, c’est le mensonge à cet enfant et cette cabane « magique », c’est cette brume et cette tristesse qui émane de la photographie. Ce sont ces choix qui font de cette situation extraordinaire quelque chose de tangible et à laquelle le spectateur pourra croire. Car en plus de ces détails, Lars von Trier s'est entouré de scientifiques, pour garantir la véracité ce son récit. Oui, tout dans Melancholia est possible. Improbable, mais possible.


Mais en plus du réalisme scientifique et psychologique, Lars von Trier s’applique à toujours rendre ça beau. La beauté de la simplicité comme on l’a vu, mais également la beauté dans le grandiose : ce prologue aux images truquées sublimes dont tout le monde a déjà parlé, ce « lever de planète » impressionnant auquel toute la famille assiste et une destruction finale grandiloquente et mélodramatique. La photographie toujours magnifique, jouant avec le clair-obscur, la lumière bleue de la planète ou encore plus simplement celle du soleil, pour l’une des seules scènes de réel bonheur pour Justine.


Un film artisitiquement incroyable donc, qui déploie ses moyens avec intelligence, et happe le spectateur dans son univers mélancolique, toujours dans l’expectative, jusqu’à la fin tragique de l’inéluctable destruction de la vie.

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le 10 juil. 2018

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