Il y a un compteur qui se déclenche dans un coin de l'écran, 10 minutes après le début, et qui défile tout seul, sans qu'on comprenne ce qui est en train d'être dénombré. On pigera très vite que c'est l'égrènement des morts d'une énième guerre des mafias, dans les années 80. Celle-ci fera plus de 1000 morts en Italie et en Sicile, provoquera une légitime émotion populaire, et l'exil de Tommaso Buscetta, chef mafieux du côté des perdants de la guerre et qui voit sa famille décimée. Deux de ses fils seront exécutés. C'est le fond historique, réel, de ce film, sur ce mafieux qui a fui, a été arrêté et extradé et a décidé de se venger en coopérant avec les juges et la police. C'est donc un "film de mafia", mais c'est un film de * vraie * mafia. Les "hommes d'honneur" ne sont ni beaux ni classieux, il n'ont pas de jolie musique qui les accompagne, contrairement à Hollywood, ils ne sont pas "cools". Ils sont ce que sont les véritables mafieux : des ordures amorales et brutales, obsédées par le fric, qui ne reculeront devant aucune violence pour le pouvoir et l'avidité. Il faut voir la scène où le juge Falcone renvoit balader son repenti qui pleurniche sur le gangstérisme d'antan "qui avait des valeurs" : il y a jamais eu de valeurs dans la Mafia. C'est le mérite du film de nous montrer cette réalité déglamourisée, à hauteur d'homme, sans esthétisation de la violence. Dans les films de Scorsese, le personnage de Joe Pesci et ses pétages de plomb sont présentés comme une excentricité à la violence débordante, une sorte d'anomalie dans le milieu. On se rend vite compte que loin d'être l'exception, les Joe Pesci mafieux du monde réel sont la norme. Et fringués en moche, aussi. Et plus ils ont l'air insignifiants et falots, plus ils sont dangereux, à l'image du terrifiant Toto Riina, véritable tueur en série qui n'hésitera pas à sacrifier femmes et enfants à sa voracité. Un peu long peut-être mais très dense, tout entier porté par les solides épaules de Pierfrancesco Favino en homme revenu de tout et qui se rachète une conscience sur le tard, on valide Il Traditore pour son entreprise de déconstruction du mythe Cosa Nostra où à la fin ne reste que des hommes petits et méchants.


thierrymarot
7
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le 9 juin 2024

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