Comme elle le dit elle-même : un jour, elle n’a plus pu. Ovidie, autrice, réalisatrice, en a juste eu marre de coucher avec des hommes qui s’occupaient mal d’elle. Depuis plus de 4 ans, elle fait la grève du sexe hétérosexuel et entreprend d’explorer le pourquoi de ce renoncement volontaire. Un pourquoi très simple, par ailleurs : les mecs baisent mal. Les mecs s’en foutent du plaisir des femmes, du moment qu’on peut mettre nos pénis dans des orifices, point. La somme d’efforts qu’il faut faire en tant que femme, la charge mentale, physique, économique, que représente les parades de séduction pour quelques minutes de, au mieux, un mauvais coït, et encore quand ledit rapport est même vaguement consenti : marre. Ovidie a déclaré ya basta, et livre un texte en colère qui met le doigt là où ça fait mal : nous, les mecs, on baise mal, et on baise mal quasi systématiquement, parce qu’on vit dans un système qui nous autorise et nous encourage à n’en avoir rien à foutre de ce que ressentent les femmes, et il faut attendre 2017 avec #metoo pour qu’on commence à s’en rendre compte et à vaguement envisager de se remettre en question. Tu m’étonnes qu’elles soient vénères les meufs. Elles ne le sont même pas assez en fait, et lire les critiques du livre qui déplorent sa “violence” fait sourire ; une seule page d’Andrea Dworkin est dix fois plus violente que tout le livre d’Ovidie. Il n y a pas de violence, dans le constat de l’autrice et la décision d’abstinence qui en découle, pas de haine contre les hommes non plus ; rien que le regard consterné et exaspéré devant les mêmes sempiternels comportements masculins hétéros, sur le mode : “mais quand est-ce que vous allez arrêter d’êtres cons ?”. Une seule phrase du livre dit tout : quand on traite les féministes de “mal baisées”, Ovidie s’empare de l’insulte pour affirmer que oui en effet, elle est féministe PARCE QUE elle est mal baisée, PAR NOUS. Et quand on constate les ventes du livre, en rupture de stock au bout d’une semaine, ainsi que la dissymétrie des critiques - dithyrambiques côté femmes, vexés comme des poux côté hommes, allez les lire c’est vraiment frappant -, Ovidie a tapé plus que juste, et de là à penser qu’en faisant la grève des hommes, elle réalise un rêve secret de beaucoup de femmes, il n y a qu’un pas qu’on hésitera pas du tout à franchir.

Mais il n y a pas que la colère, et l’autrice se demande aussi, comme le poète : Que Faire ? Que faire, quand on est une femme raisonnablement hétérosexuelle, et qu’on constate l’inanité et la vanité du désir masculin, son absence totale du plus élémentaire respect de l’autre ? Ovidie est lucide : sa démarche est personnelle, individuelle, elle n’appelle pas à la grève du sexe générale, toutes ensemble camarades etc., mais que faire décidément quand au niveau même basique de la relation sexuelle entre adultes consentants, l’un jouit et l’autre est contente que ce soit vite fini ? Et que ça se passe PARTOUT et TOUT LE TEMPS ? On construit quoi comme contre-modèle ? Et c’est par ailleurs là qu’Ovidie tourne autour du pot et il faut lire un peu entre les lignes, quand elle parle du mouvement “pro-sexe” où on sent une certaine désillusion : ça ne fonctionne tout simplement pas. Les “pro-sexe” n’ont pas été capables de fabriquer des modèles de relations viables à une échelle de masse, le queer tout le monde trouve ça sympa mais pas grand’ monde n’en veut réellement, et à la fin de la déconstruction, il reste quoi ? Au fond, Ovidie ne réclame…pas beaucoup. La demande est finalement basique : elle revendique juste…l’égalité. Mais, elle revendique là quelque chose dont les hommes ne veulent pas, parce que dans l’égalité, on a tout simplement trop à perdre.

Résumons : l’hétérosexualité c’est plus comme avant, le couple traditionnel ça fait eau de toute part, le queer ça marche pas, la déconstruction à la fin y a plus rien, le polymamour c’est de la merde et dans les clubs échangistes y a que des vieux. Le cul. Les ronces. Alors, quoi, Xanax pour tout le monde ? Ou alors, à force de poser les bonnes questions, il va peut-être finir par émerger des nouvelles remises en questions, des nouveaux comportements. Les décennies à venir vont être tout à fait passionnantes de ce point de vue.


thierrymarot
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le 22 août 2024

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