Quand les gens voient ça... ils demandent tout de suite comment on peut faire ça... et pourquoi. Même si on prend le tueur, ils veulent savoir. Dans les films, le tueur explique comment et pourquoi. Il a toujours un mobile, même débile, et un regard allumé. J'ai interrogé des tueurs comme celui-ci. Ils sont au-delà du besoin de justifier ce qu'ils font. Ils le font, c'est tout. L'explication n'est qu'une fiction qui rassure. Sans explication, c'est un chaos dénué de sens qui nous menace tous à tout moment. Et c'est bien ça !
Le Veilleur de nuit réalisé par Ole Bornedal est un remake du film danois du même nom, présentant un mélange de tradition classique de l'horreur, des premières oeuvres de Polanski et Hitchcock. Ole Bornedal accorde beaucoup d'importance aux détails, aux personnages d'un point de vue psychologique, l'évolution de ceux-ci, l'intrigue et le développement de l'histoire, dans un brouillamini de fausses pistes intelligemment orchestrées faisant grimper l’adrénaline. Un récit empreint d'un suspense efficace jouant habilement avec notre peur de la mort, en situant le cadre de son intrigue dans l’enceinte d’une morgue lugubre et glauque, où le moindre détail de son, d’odeur, d'isolement n'échappe pas au cinéaste. La composition musicale de Joachim Holbek aide efficacement à s'imprégner de ce lieu austère.
L'histoire va plus loin que du gore ou du frisson. Ça parle de la vie et de la mort, de la jeunesse et des expériences, de cette transition entre l'adolescence et la vie d'adulte. Un rituel face à la mort qui servira d'évolution à la vie réelle. Une métaphore sur notre côté sombre, le mal fait partie de la vie, c'est ce qui nous fait devenir plus grand et fort. C'est ça le fil conducteur du récit, qui présente l'histoire de deux hommes : Martin Bells (Ewan McGregor) et James (Josh Brolin), qui arrivent à un moment où il faut qu'ils deviennent mûrs, des adultes. Une responsabilité qui angoisse les deux personnages, qui pour retarder l'inévitable vont à la recherche de leur côté sombre à travers des défis. Des défis qui les conduiront sur le trajet d'un redoutable tueur en série nécrophile.
Les décors silencieux de la morgue ainsi que le travail de veilleur de nuit présentent un contraste fascinant, celui de la mort offrant une perspective à la vie. Le réalisateur présente un lieu peu rassurant, où la mort est omniprésente. Une atmosphère froide et funeste installant un sentiment d'insécurité qui nous immerge dans le contraste, via les rondes de Martin dans les chambres froides.
Les transformations du paysage représentent à chaque fois le brouillard des incertitudes de Martin, une métaphore de la mort ou de la vie à venir. Alors que la mise en place du crime ( réunissant toutes leurs preuves indiquant que le héros est le tueur) se véhicule via la tension, en parallèle on retrouve une atmosphère plus désinvolte. Une opposition d'ambiance, qui accentue l'atmosphère inquiétante des scènes mettant en avant un personnage bien trop près de son assassin pour en percevoir le jeu. Tout ceci construit un effet d'attente singulier et inquiétant. Quand on ne voit pas, on imagine. C'est encore plus effrayant. La tension augmente continuellement, les mouvements de caméra sont ingénieux et créent un sentiment d'angoisse et d'étouffement dans les insidieux couloirs de la morgue. Autant dire que la mise en scène d'Old est inspirée.
Ewan McGregor avant d'être Obi Wan Kenobi grand Jedi des préquelles de Star Wars, est Martin un étudiant embauché en tant que veilleur de nuit agissant en réaction à tout ce qui l'entoure. Il est pris au milieu de tout ça. Avec son air naïf et non assuré, il est facile de se mettre à la place de celui-ci, qui tout du long se contente de subir, ce qui est amusant. Il fait un petit clin d'oeil à shining ironique en imitant Jack Nicholson. Josh Brolin dans le rôle de James incarne un homme arrogant en proie aux doutes en recherche de sensations fortes, s'amusant continuellement de tout, allant jusqu'à commettre des actes morbides et malsains avec des prostitués pour jouer des tours à son meilleur ami Martin. Nick Nolte est excellent dans le rôle de l'inspecteur Thomas Cray. Je ne suis pas un grand fan du comédien, pourtant il faut reconnaître qu'il est très convaincant. Patricia Arquette est également de la partie sous les traits de Katherine la copine de Martin, qui offre un second rôle honnête où elle n'est pas qu'une suiveuse.
Je terminerai par l'assassin dont je ne spoilerais pas l'identité pour conserver un maximum de plaisir. La nature tordue de ses crimes avec l'asservissement faîtes aux femmes qu'elles soient mortes ou vivantes, confère à ce tueur nécrophile une aura terriblement spécial. Il est présenté durant plus de la moitié de l'histoire à travers son regard, à la première personne afin de conserver son identité secrète le plus longtemps possible. Accompagné d'une chanson pour enfants pendant qu'il commet ses actes terribles (durant lesquels il viole les femmes une fois mortes, puis leur prend leurs yeux), autant dire qu'il marque les esprits. L'originalité qui l'entoure est intelligente, comme il est précisé " quelques fois cela ne sert à rien de demander pourquoi ".
CONCLUSION :
Le Veilleur de nuit est une expérience cinématographique excitante signée Old Bornedal, qui présente une intrigue tordue et malsaine tenant en haleine de bout en bout. Le récit distribue efficacement un ton sérieux mélangé au plaisir et à la perversité. Une réalisation étonnante, amenant un contraste parfaitement glauque avec une mise en scène empruntant superbement le cheminement horrifique de Polanski par la désinvolture et Hitchcock pour son atmosphère ambiante. Ce long-métrage est souvent critiqué en comparaison de l'oeuvre originale, cela tombe bien je ne l'ai pas vu, ce qui fait que j'ai pu pleinement profiter de cette oeuvre.
Qu’est-ce que les yeux ? Le veilleur de nuit devant le reflet de l'âme des morts.