Alors que le cinéma muet, en passe de se faire remplacer par le parlant, en est au crépuscule de son existence, ses dernières années verront des cinéastes atteindre leur sommet sous cette forme-là, à l'image de Lang, Murnau ou encore Borzage. Arrivé à Hollywood en 1924, Victor Sjöström va participer à cet apogée créatif en signant The Wind, où il met en scène le destin d'une jeune fille arrivée de Virginie pour travailler avec son cousin, au risque d'attirer la jalousie de la femme de ce dernier.
Dès les premières images puis le passage dans le train, Sjöström impose déjà une vraie force à son oeuvre, une vraie dimension qu'il va travailler jusqu'à un final magistral, où il terminera de faire ressortir toute la puissance et l'émotion de son personnage principal. Ici, il dresse le portrait d'une femme fragile qui va voir la vie ne lui faire aucun cadeau, rôle que Lillian Gish aura souvent obtenu dans sa carrière à l'image de ses somptueuses collaborations avec D.W. Griffith comme Way Down East ou Broken Blossoms. Elle non plus ne survivra pas vraiment au muet, continuant sa carrière à la télévision avec parfois quelques seconds rôles au cinéma. Dans The Wind elle propose à nouveau une composition d'une rare justesse et puissance, sachant faire passer tout un panel d'émotion, surtout la détresse, peur et amour à travers de simples gestes et regards. Elle confirme encore qu'elle est bien l'une des plus belles et talentueuses actrices qui m'ait été donné de voir.
En adaptant le roman éponyme de Dorothy Scarborough, Victor Sjöström met en scène à sa façon la conquête de l'Ouest à travers le destin de cette femme qui va connaître les pires souffrances, souvent dues aux autres. Une descente aux enfers non préméditée, où elle débutait le film heureuse de retrouver son cousin, avant de voir les défauts de la nature humaine (jalousie, viol, hostilité, convoitise etc) empêcher son bonheur et précipiter sa chute. Un malheur annoncé, et symbolisé, par des vents d'une immense force qui ne font qu'accentuer sa peur. Bien que Sjöström reste constamment braqué sur elle, il ne néglige pas les autres rôles, où chacun apportera sa pierre à ce triste édifice, qu'il soit bon ou mauvais mais toujours traité avec une certaine justesse. L'histoire est épurée, sachant aller à l'essentiel sans détours inutiles. Il trouve toujours le bon équilibre entre les tons, sachant donner une vraie dimension à son mélodrame et le retranscrire à merveille jusqu'à un final déchirant, capable de prendre aux tripes et montrant, à nouveau et s'il y avait besoin, la magie et l'intemporalité du cinéma.
Usant de quelques symboles, à l'image des spectres animaux, il montre surtout une grande maîtrise de la caméra, jouant dans un style expressionniste et donnant une ambiance de plus en plus prenante à l'oeuvre, oscillant entre angoissante, cauchemardesque, fascinante, intense, violente ou encore magnifique. Une vraie poésie se dégage de l'oeuvre, sublimée à la fois par le parcours de l'héroïne, qui devra puiser des forces inespérées en elle pour s'en sortir, que par les plans de Sjöström ainsi que son utilisation des décors (à l'image des scènes de vents). Il ne tombe pas dans le pathos ou quelconques excès, mais retranscrit avec justesse toute l'émotion des enjeux, sachant capter au mieux les pulsions et émotions des personnages, parfois à travers une simple expression ou regard.
Une oeuvre d'art d'une rare intensité émotionnelle, où un regard ou geste en dit bien plus que n'importe quel mot, où chaque image se révèle d'une rare richesse et sensation et où Lillian Gish, merveilleusement fragile, incarne à elle seule la magie et l'intemporalité du cinéma.