Le dernier maître de l'air
Etre dans une salle de cinéma et attendre la projection du dernier film de Miyazaki (et SON dernier), c’est ressentir une étrange forme d’angoisse. Frissons d’impatience se mêlent aux pincements de cœur à l’idée de se dire que les images qui vont arriver seront les ultimes du maître, mais aussi à la crainte d’être atrocement déçu. Un énorme Totoro, mascotte des studios Ghibli, apparaît à l’écran et l’on retient son souffle.
Le film s’ouvre sur une séquence magique où un petit garçon grimpe dans son avion pour aller naviguer entre les nuages. Ces cinq premières minutes sont à elles-seules un ravissement. Par la suite, Miyazaki va bifurquer de sa trajectoire habituelle pour nous offrir une biographie, largement inspirée de la vie de Jiro Horikoshi, ingénieur aéronaval, passionné et bourreau de travail. Pour moi, c’est là que le film perd un peu de son attraction, même si l’histoire est savamment racontée. Et malgré des scènes de rêve succulentes, on comprend bien que Miyazaki a voulu rompre avec la magie dont sont nourris tous ses autres films. Comme s’il s’était dit que seul son dernier film pouvait montrer une autre facette de son travail et de ses passions. Il est indéniable qu’à travers ce héros, il se raconte un peu lui-même, avec une volonté à peine déguisée, d’expliquer à son public les raisons de son départ à la retraite.
Mises de côté ces petites réticences quant à l’histoire et sa forme narrative, le film est d’une beauté stupéfiante. Je pense qu'il permet à Miyazaki d’asseoir définitivement son statut de dessinateur du vent. Comme personne, il est le maître incontesté de la bourrasque, de la brise ou de la tempête. Lui seul sait faire danser l’herbe avec tant de grâce, s’envoler des chapeaux avec tant d’impertinence (ah l’envol de chapeaux) ou faire gonfler les robes en un souffle inattendu. Bien sûr, cette capacité incroyable est décelable dans un bon nombre de ses films, je pense notamment à Mon Voisin Totoro, qui est à lui-seul une ode au vent, mais avec Le Vent se lève…, Miyazaki a voulu nous donner le coup de grâce. Et le résultat est juste merveilleux et offre au film la petite pointe de magie qui lui manque parfois. Mais le film est également jalonné de plans sublimes, maîtrisés à la perfection et des scènes d’une orchestration incroyable (je pense notamment à celle de l’avion en papier qui vient donner un second souffle à l’œuvre).
Je pense que Le Vent se lève mérite amplement plusieurs visions afin de se détacher de toutes les œuvres connues de Miyazaki et de ne savourer ce film uniquement pour ce qu’il est : l’histoire d’un homme pétri d’une passion dévorante qui réussira sa vie autant qu’il la gâchera. Il est rare de constater autant de nuances dans un héros de Miyazaki car au final, il n’est ni sirène, ni esprit des forêts, ni princesse des loups, ni même sous le coup d’une malédiction, il est un homme, tout simplement.