Ce sont les hommes qui font naître le vent !
"Le vent se lève" est un film trompeur. Là où son titre promettait des bourrasques comme un vent de liberté, on a des hangars remplis de machines compliquées. Là où l'affiche annonçait une verte prairie, on a, surtout, des maisons et des industries. Et là où s’annonçait, une fois de plus, le règne de la nature, le cœur du film est la nature humaine.
Et pourtant, ce n'est pas un hasard si ce film s'appelle "Le vent se lève". Pour beaucoup, beaucoup de raisons.
Et la première d'entre elle, peut-être la plus grande : parce qu'il fallait absolument que cette carrière s'achève là où elle avait commencé, boucler la boucle, et enfin poser le point final. Ce film, d'une certaine façon, était l'aboutissement logique de la carrière de Hayao Miyazaki. Et s'il ne s'agit pas forcément de son dernier (qui peut prédire le prochain changement d'avis de ce bourreau du travail ?), "Le Vent se lève" a définitivement un goût de testament, comme une réponse adressée à vingt-neuf ans de distance à son premier véritable film, Nausicaä de la vallée du vent, comme s'il voulait enfin tirer la conclusion.
La carrière de Miyazaki commence et finit dans le vent. Vous souvenez-vous de ce vieux film, aujourd'hui un peu boudé ? Vous souvenez-vous de cette scène où, comme fatigué de tant de haine et de carnage, alors que tout est sur le point de s'achever, le vent s'arrête de souffler dans la vallée ? C'est seulement alors que les habitants connaissent vraiment la peur. Et la mort du vent apparaît alors comme une perspective bien plus terrifiante que tout ce qu'on peut imaginer.
Aujourd'hui, Miyazaki a sa carrière derrière lui, et il a, à force de travail, réussi à bâtir sa légende. Mais le constat est amer, et ses craintes, pour beaucoup, se sont concrétisées, particulièrement pour son pays. Le Japon se remilitarise. La sortie du nucléaire ne semble pas la priorité. Le nationalisme repart de plus belle, et Miyazaki a beau user de toute son aura pour protester, il ne reçoit guère que des volées de bois vert. D'où ce film. D'où "Le Vent se lève".
Ce qui transparait tout le film durant, c'est un sentiment d'urgence, presque de peur panique. L'enfance, le domaine où Miyazaki excelle normalement le plus, est expédié, pulvérisé, désintégré en une dizaine de minutes à peine. Jirô est propulsé sans transition à l'âge adulte, comme un gamin qui a vieilli trop vite. Comme Hayao Miyazaki. Désormais, tout le film suivra la progression, les rêves et finalement la chute d'un adulte. Il est fini le temps de l'innocence, et avec le vent qui se lève, on y retrouve des odeurs rances.
Je suis triste pour Hayao Miyazaki. Il y a trente ans, il réalisait un film rempli d'urgence sur la violence et l'absurdité de la guerre froide, sur la menace du nucléaire. Trente ans. C'est long, trente ans. L'homme d'âge moyen que Miyazaki était alors a eu le temps de devenir une personne âgée. Et aujourd'hui, cette impression, lancinante, que l'histoire se répète. Quand on lit ses lettres de protestation, quand on l'écoute parler du monde d’aujourd’hui, quand on le voit manifester contre le nucléaire, comment ne pas croire que Miyazaki a repris la plume avec le même sentiment qu'il avait, il y a trente ans, quand il laissait transparaître ses craintes dans "Nausicaä de la vallée du vent" ?
"Le Vent se lève", enfin, c'est un cri adressé au Studio Ghibli. Qui connaît encore le sens du mot "ghibli", ce vent du Sahara, qui devait apporter un souffle nouveau à l'animation ? Après tout, dans le film, c'est Caproni qui affirme au jeune Jirô : "Pour les artistes comme pour les ingénieurs, la vie dure dix ans." Miyazaki a depuis longtemps outrepassé ces dix années auxquelles il avait droit, et maintenant, tout le monde craint que le vent ne meure...
Et pourtant, le titre est là. Provocateur, comme le sont les hommes. Le vent se lève. Et il faut tenter de vivre. Quel pied de nez à la fatalité ! Quel espoir formidable !
Miyazaki a toujours, contrairement à ce que pourrait faire penser sa filmographie, mis l'être humain au premier plan de ses films, bien devant la nature. Et ici aussi, "Le vent se lève", n'est pas un film sur un quelconque vent. C'est un film d'avions, d'aviateurs, d'ingénieurs et d'hommes. Et sur leurs rêves immortels, même quand ils sont dévoyés.
Alors oui, dans ce film, le vent se lève bel et bien. Mais il ne se lève pas tout seul. J'ai une boule dans la gorge en repensant à cette scène extraordinaire où le vent souffle, souffle furieusement, et emmène avec lui l'avion de Jirô, et alors on se rend compte que ce vent de folie qui emporte les âmes, c'est Jirô qui l'a fait naître sous son crâne.
Parmi tout cela, il y a peu de place pour le vent mystique qui guidait Nausicaä dans sa quête pour sauver le monde, tout au plus un coup de pouce des Dieux pour amener l'avion de papier de Jirô à sa bien-aimée.
Désormais, les hommes sont seuls.
Désormais, c'est à eux de faire se lever le vent.