Le Vent se lève
7.3
Le Vent se lève

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (2013)

C’est sur le célèbre vers de Paul Valéry que le nouveau film du maître s’ouvre : « Le vent se lève… ! Il faut tenter de vivre ! ». Lorsque le poète rédige Le Cimetière marin en 1920, c’est d’après ses souvenirs du fameux cimetière de la ville de Sète. Le dernier film d’Hayao Miyazaki, quant à lui, évoque une fausse mémoire très lointaine : l’avant seconde guerre mondiale au Japon, antérieure à la naissance du cinéaste. C’est en s’emparant du vers de Paul Valéry que Miyazaki réalise une œuvre formellement nouvelle, à la mise en scène inspirée non seulement par l’histoire de Jiro Horikoshi mais aussi par son grand esprit rêveur. Peut-on parler d’un film testament ? Même si l’on connaît la triste nouvelle du départ du cinéaste en retraite, on ne peut écarter cette dimension bien plus adulte et sombre, du scénario et des personnages davantage durs et sensibles à la réalité. Si le Vent se lève apparaît comme son long métrage le moins « enfantin » (bien loin du précédent Ponyo sur la falaise), il n’en demeure pas moins d’une puissance aussi plastique qu’émotionnelle, apaisante et douce en opposition aux menaces sombres planantes sur l’époque. Avec onze longs métrages à son actif, ce n’est pas une énième histoire similaire aux autres que Miyazaki nous raconte, mais un nouveau conte sur fond historique très intimiste et anti grandiloquent, par un geste simple ne tapant jamais dans le grandiose.

Jiro Horikoshi est un ingénieur japonais concepteur d’avions bombardiers utilisés durant la seconde guerre mondiale. Miyazaki n’a au grand jamais voulu réaliser un biopic classique, mais s’inspirer de l’histoire de son pays afin de conjuguer sa passion pour l’aviation et son don naturel de conteur d’histoires déchirantes. Si le film relève d’un pessimisme et d’une vision grisâtre de la vie de l’ingénieur, sa première séquence nous rappelle que nous sommes toujours dans l’univers du cinéaste d’une richesse visuelle inouïe. Nous assistons au rêve de Jori, celui de piloter des avions bombardiers. Ces problèmes de vue ne joueront pas en sa faveur, et c’est dans la mécanique et la construction que le jeune homme passera sa vie. Les quatre premières minutes sont ce rêve mis en images, fantastique et élégiaque, directement hérité de ses plus grands chefs d’œuvre tel Princesse Mononoké (1997) ou Nausicaä de la vallée du vent (1984). Le vent n’est pas une sous thématique nouvelle dans le cinéma de Miyazaki, mais devient un catalyseur essentiel de la profusion visuelle de ce dernier film. La Terre et le ciel se rencontrent pour ne former qu’une entité utopique et magique, transparente à notre vision et évitant brillamment la lourdeur symbolique pour l’esprit adulte. Les motifs de l’esthétique des films du cinéaste n’appartiennent pas au cinéma d’animation mais bien à la prise de vues réelle qu’il reconstitue le plus fidèlement possible, donnant ainsi à voir un autre réel que celui dans lequel nous évoluons, apparaissant comme un monde parallèle directement hérité et construit sur notre modèle.

Car finalement, cette recherche de maturité dans une histoire typique des caractéristiques de son cinéma ne se met jamais en avant, ne prédomine pas dans ses scènes les plus dures et les plus noires. Tantôt nous pouvons voir la sublime Naoko peindre dans la prairie au son du vent, tantôt nous pouvons être renversé par un séisme des plus dévastateurs montré comme si une main divine soulevait la Terre, pour la reposer telle une nappe sur une table provoquant une grande vague meurtrière (le séisme de Kanto en 1923). C’est dans le souci de poétiser cette atrocité, de rendre lumineux cette époque douloureuse, que Miyazaki s’élève définitivement comme le plus grand cinéaste d’animation de nos jours. Dans tout film du genre, une attention particulière est souvent portée à la qualité graphique et à la création des personnages animés. Miyazaki s’attarde avec justesse et cohérence sur un long scénario de plus de deux heures, et adapte ses personnages à son environnement, restant fictif mais paradoxalement ancré dans une réalité propre à lui même. Les films du cinéaste n’ont cependant jamais relevé d’un registre documentaire, bien que dans ses entretiens il déclare avoir effectué plusieurs recherches. C’est à une reconstruction de l’histoire que nous sommes confrontés, ni utopique, ni uchronique, mais prenant une puissante ampleur romanesque par le récit de Miyazaki, fluide et parsemé d’ellipses, conservant simplicité et élégance pour son public cible. Il demeure, comme toujours chez Miyazaki, l’incontournable intrigue de l’amour.

Omniprésente dans toute sa filmographie, elle est encore une fois ici le vecteur d’une élévation intemporelle et magnifique : Jori et Naoko vont s’aimer durant la guerre, d’une passion plus réaliste qu’abusive. Cette passion ne transfigure pas un renfermement intimiste dans le Japon en déclin, mais nous amène à observer cette beauté glacée que tout adulte renierait, ne disant « ça n’existe qu’au cinéma ». Cette fameuse scène où Jori fait voler un avion en papier du sol vers le premier étage d’une maison où se situe Naoko témoigne clairement de la vision du cinéaste : dans toute époque froide et triste demeure le jeu fatal du destin. Cette fois ci, le destin est justifié par le vent, pouvant véhiculer ce vulgaire morceau de papier, n’étant pas conduit par Jori mais part l’air environnant faisant office d’une matière vivante. Le Vent se lève ressemble aux premiers abord à un conte poético-réaliste tout sauf fantastique, bien qu’un aspect de ce dernier genre ressorte finalement dans plusieurs séquences, qu’il convient d’abord de regarder attentivement avec nos yeux, mais aussi de les écouter avec notre cœur. S’affranchissant de toute réflexion sur le cinéma lui même, et invitant à une plus grande sur le monde d’autrefois, le cinéaste dresse dans le Vent se lève un tourbillon magmatique de sentiments époustouflant, dans lequel nous sommes happés comme un jeune enfant ayant peur de la guerre.

L’émotion découlant de la projection reste difficilement explicable. Chacun de nous s’interrogera sur le message véhiculé, voudra faire marche arrière, rejuger et pouvoir justifier l’effet fantasmagorique d'un film d’animation de cette envergure. Car le Vent se lève n’est certaines fois pas aussi limpide qu’il n’y paraît, malgré ses élans musicaux renvoyant au grand cinéma classique des premiers temps et ses dialogues allant droit au but. Le spectacle n’est cependant jamais la première sensation recherchée par Miyazaki, son approche étant davantage frontale et perçante envers l’esprit du spectateur. Ce dernier peut parfois s’identifier au personnage de Caproni, encourageant et prenant du recul sur la vie de Jori dans ses passages les plus difficiles, à la manière d’un ange, qu’il rencontre dans un rêve. Comme un accompagnateur permanent apportant la confiance à notre bien être, lorsque réfléchir et prendre des décisions devient impossible. Peut être est-ce le trouble chez Hayao Miyazaki, ne souhaitant plus raconter d’histoires au cinéma de peur d’un jour de décevoir un public fidèle, et avide de contes féériques, se laissant porter par le vent tel une matrice émotionnelle accessible pour tous, non sous forme de spectacle grandiose attendu, mais bien comme plongée intimiste au cœur de la grande et surtout de la petite histoire, la plus inspirante et la plus touchante dans la douceur de ce monde dévastée.
Forrest
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le 23 janv. 2014

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