" Mais j'ai tellement rêvé que le réel me tue "
Il quitte l'insoutenable légèreté de l'enfance pour faire entrer son (anti) héros dans l'âge adulte en plein cœur d'un amour qui arrive en même temps que le vent, et d''une toute nouvelle maturité qui surgit au même moment qu'un tremblement de terre dévastateur. Celui qui aurait pu faire tout changer, mais, non, "on a tout reconstruit à l'identique". Ce n'est pas ce que fait Miyazaki qui, pour ses adieux au cinéma (réels?,) nous sert un film qui, de l'aveu de beaucoup, ne ressemble en rien au terrain balisé de rêves et d'innocence qui a fait son succès, sa force et tout le reste. Ici, il choisit peut être enfin de confronter le rêve, l'envie à l'âge adulte, c'est à dire à la réalité et surtout, fil conducteur pour moi du film : à la contradiction. Elle est dite en quelques mots par le collègue et ami de Jiro "pour travailler il faut un foyer, c'est contradictoire, ça aussi". Et pour réaliser son rêve, il faut le voir maintes fois se briser, exploser en vol. Et oublier, tout autant que rencontrer, l'amour, perdu dans l'égoïsme d'un rêve devenu travail entêtant. Un rêve entravé par le temps qui reste, celui pour rattraper sans cesse du retard, à l'encontre de ces bœufs nonchalants et lents qui transportent les avions jusqu'à la piste et que Jiro admire tout en cherchant sans cesse à créer l'avion parfait, le plus vite possible, le plus loin possible.
Pourtant, du temps, il en perd, en rêveries. C'est un être paradoxalement lent alors qu'il a compris très vite qu'il fallait se lancer dans la course, contre l'autre rêve, japonais celui-là, de rejoindre et d'aspirer à la technologie d'aviation allemande. Le modèle absolu, la perfection sous les traits du professeur Junkers, qui trace sa route devant un Japon archaïque, plein de valeurs en déclin et qui, en voulant se rapprocher de son ennemi futur, tend vers son éclatement. Un éclatement que la nature vient sans cesse faire tinter aux oreilles des japonais, comme l'industrie et l'économie qui s’effondrent dans une crise sans fond.
Ce n'est plus alors seulement la nature qui vient rappeler à l'homme sa faiblesse mais ses propres constructions qu'il convoite tout autant qu'elles le révoltent. La réalité vient rattraper un homme dans un film qui exhorte sans cesse son personnage à vivre avec cette injonction magnifique empruntée à notre poésie "Le vent se lève, il faut tenter de vivre". Paradoxe, encore une fois, là où le roseau plie puis se relève, il faut faire de même. Sentir ce vent qui détruit, ce vent qui apporte le changement, ce vent qui transporte Jiro vers le ciel, où des milliers de petits papiers s'envolent comme autant d'avions qu'ils parviendra bientôt à faire voler pour un voyage sans retour.
Pourquoi un 10 ? Pour cette injonction que je traduirais ainsi, un peu à la manière des Mémoires d'outre-tombe à la Chateaubriand qui exhortait ses survivants, à devenirs ses continuateurs: il est temps pour moi de partir, ne cesser jamais d'entendre la poésie, de la sentir mais n'oubliez pas de vivre votre réalité. Il est question de retraite à la fin du film, ou du moins, de fin d'une quête menée sans relâche. La fin d'un voyage, où l'on est conscient de la réalité, toujours porté par ces rêves qui nous disent "vis ta vie". Ce n'est plus un enfant qui rêve, loin de toute forme de destruction, c'est un adulte qui refuse de renoncer, qui comprend ses choix, les endure et finalement les assume, même dans la douleur. Car c'est vers l'apaisement que tend Miyazaki. Malgré les contradictions, il est toujours plus beau de vivre dans un monde où nos yeux peuvent s'émerveiller devant les pyramides, qu'importe les sacrifices devant lesquels on détourne les yeux. C'est notre contradiction, à nous, être humains: créer la beauté derrière la destruction. Et c'est au vol, toujours, que Miyazaki a saisit cette opportunité de rêver, de s'aimer et d'en sortir apaisés ...
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