Le Vent se lève
7.3
Le Vent se lève

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (2013)

Le vent se lève, il faut tenter de vivre.

Fortement porté, au gré des nuages et du monde qui tourne, par la citation éponyme de Paul Valéry, Le vent se lève et emporte avec lui la carrière épurée de Miyazaki qui a bercé l'imaginaire tendre de nombreux jeunes rêveurs dans le vent comme moi. Le moteur du film reprend toutes les images technologiques et presque steampunk qu'il a souvent exploitées et, si ces technologies sont bien réelles, il les berce tout de même d'une once d'onirisme. Cette-fois, c'est en les avions qu'il va rejoindre le ciel et le royaume des rêves. Biopic animé, donc bien ancré dans l'époque historique de veille de la seconde guerre mondiale, Le vent se lève alterne en réalité entre deux thématiques qui, ce qui fait son défaut, se marient mal. On peut certes tenter de faire abstraction du reste, mais le personnage principal est le concepteur des plus grand avions de chasse japonais, qui finiront par servir tristement à l'inverse de son rêve : la guerre. Mais qu'importe, son travail est traité avec la plus grande intériorité, renforcée par tous les âges auxquels on nous montre le personnage de Jiro ; il est enfant, il vit, il a des rêves, il les poursuit. La quête existentielle de ce personnage est, de la part de Miyazaki, un magnifique hommage aux idéaux de perfection et de réussite qu'il incarne : le résultat est là, peu importe son avenir, puisque son créateur l'a fait et l'a tenu jusqu'au bout.

Et le choix de traiter d'un ingénieur n'aurait pas vraiment pu se remplacer : c'est un métier particulier et tout autant admirable. Ce film l'illustre beaucoup, je pense qu'il y a dans le monde deux types de vies. Certains font tourner le monde parce que c'est leur destin. Certains courent tout autour parce qu'ils ont des rêves.
L'ingénieur, c'est les deux. déploie un travail intense, certes, mais il n'a rien d'artistique, l'œuvre en elle-même est produite en masse, il n'existe pas une pièce unique d'un avion rêvé par son concepteur. Il serviront à la guerre, ils seront détruits dans des tristes champs d'herbe comme le montrent des images, oniriques ou non, disséminées au fil du film. Mais dans la quête personnelle de Jiro, il y a ce déploiement d'énergie et d'amour, peu importe à quoi servira ce qu'il produit ; il veut quelque chose, il le fait, il court autour du monde et poursuit ce rêve jusqu'à voler tout autour de lui dans le ciel. Par la finesse de son visage, qui n'enlève rien à sa maturité, par sa relative maladroiteté, Jiro est sûrement le personnage masculin le plus tendre de la filmographie. Et c'est quand il nous met à plusieurs reprises en confrontation directe avec ses rêves, où Jiro dialogue avec Gianni Caproni, Le vent se lève s'avère en effet être le film le plus personnel de Miyazaki.

Mais si le personnage est tendre et n'est jamais montré violemment comme fou ou " monstrueux de travail ", une tendresse encore plus grande vient mettre à mal le sujet des avions et de l'ingénierie : l'amour. On rencontre, comme lui, le personnage féminin, magnifiquement dessinée et élégante, dès le début, puis elle disparaît, quelque part, dans le vent. Comme une Jenny dans Forrest Gump, comme une Emma dans La vie d'Adèle (ça alors ! Je m"y attendais vraiment pas, Hamster !), on va y penser un peu au fond de notre cœur, on va se surprendre à l'attendre, on va sauver son parapluie au détour d'un chemin ensoleillé où le vent souffle, peut-être dix ans plus tard, on va se dire, comme ça, " Et puis, elle est revenue ". Un peu cachée, mise en scène essentiellement dans la deuxième heure mais avouée dès le début, la relation est silencieuse est d'une humilité enfantine d'une tendresse à pleurer. L'homme et la femme, riants et séduisants comme des enfants, se lancent des avions, les rattrapent, prennent des risques, se font la cour en étant un peu trop jeunes pour le montrer. Bercée par le thème principal, magnifiquement aérien mais trop court, la relation est superbe. Mais elle ne s'accorde pas avec le reste. Elle réduit l'intérêt de la quête de l'ingénieur, elle fait passer l'amour au second plan alors qu'il est traité avec bien plus de sensibilité. Nous aurions ressenti totalement la force d'une femme malade et condamnée qui va de gare en gare et fait tout par amour, ou celle d'un homme prêt à laisser sa carrière, par le même amour.

Ce n'est que dans la fin que les deux enjeux se rejoignent. Le vent souffle, sans pour autant décoiffer, en réussissant peut-être un peu à humidifier les yeux, pendant deux bonnes heures. En même temps que ses personnages, on suit ne évolution triste et pessimiste du Japon traditionnel, où les pièces détachées se transportent encore derrière les bœufs, où beaucoup de pays sont ennemis, où l'on est bien chez soi, au milieu du saké, des paravents, du cinéma d'Ozu, de la lecture de Taniguchi auprès d'un thé au jasmin, où enfin, dans la plus belle tendresse du monde, comme à Narayama, on envoie les vieillards autant que les jeunes femmes mourir sur la montagne. Et pendant ce temps-là, le vent souffle sur les avions des hommes qui ont suivi leurs étoiles.
Ashen
7
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le 23 janv. 2014

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Ashen

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