A la fin des années 90, l’animation japonaise n’évoquait chez moi que quelques épisodes de Goldorak vus 20 ans plus tôt ou le générique de Candy, qui suivait juste après. Rien de bien réjouissant. De toutes façons, comment retenir le nom de réalisateurs ou d’animateurs dont on ne savait jamais ou placer dans leurs noms les "h", les "y", les "k" ou les "z" ?
(Alors qu'avec Disney ou Grimault, c’était quand même plus simple, merde ! Oui, bon, même si, dans les exemples choisis, il y avait un "y" inutile ou un "l" sournois).
Et puis un beau jour, j’ai rencontré un collègue de travail pour qui l’image (réelle ou animée) était une déesse absolue, seule digne de pure vénération. Ce qui tombait plutôt bien parce que question musique, il n’y entravait pas grand chose. A part les compositeurs de musique de film (dont il garnissait de manière disproportionnée ses nombreuses étagères) qui ne présentaient que l’avantage d’accompagner ses images chéries, il était capable de vénérer la première pimbêche aux cheveux roux venue, pour peu qu’elle osât se trémousser sans grâce dans des clips à l’esthétique douteuse sur des rythmes évidents et paresseux. Le gars vénérait même des systèmes informatiques désuets avant même d’être conçus, c’est vous dire s’il n’avait que les film pour rattraper un peu ses coupables passions. Cela dit, l’animal avait l’esprit vif et un humour féroce, ce qui permit à nos atomes, venus de galaxies très différentes, de se crocheter assez rapidement.
Et ainsi donc, c’est tout naturellement qu’il me fit découvrir Miyazaki. Le pétillant garçon avait conscience que, dans la vaste entreprise de dégrossissement de mes affections asiatiques, il fallait y aller avec douceur et parcimonie. Ses premiers conseils furent aussi judicieux que précieux. D’entrée de jeu, Totoro ou Porco Rosso m’emballèrent. Je découvrais un univers complet, où la poésie le disputait à l’astuce d’un scénario que je commençais à ne plus croire possible pour les têtes blondes qui commençaient à envahir de manière désordonnée et vociférante mon salon.
Putain, ça allait changer l’ordinaire de ces salopiauds, gavés qu’ils étaient de Pokemon et autres fadaises à l’animation approximative et bâclée !
Pape illusion
Dès les premières secondes de ce film testament, et comme à chaque fois avec cet expérimenté chirurgien des cœurs, la magie opère. Je parle effectivement de magie dans la mesure où, le cinéma étant une affaire d’illusion dont on connait tous les rouages et les trucs, le vieux bougre réussit encore son tour, là où tant d’autres échouent. Un trait tremblotant au milieu d’un paysage évoque mieux que 50 scènes d’animation numérique moderne le charme du petit train de campagne. Ce refus de ne pas respecter certaines proportions, de ne pas bloquer les contours d’un objet (un moteur ? Une hélice ?) est symptomatique du talent insolent du bonhomme.
On pourra certes me rétorquer que ces éléments distinctifs ne sont pas l’apanage du seul vieux maitre, mais bien plus, par exemple, celui du studio Ghibli dans son entier, pourtant, je n’en démordrai pas: son art est incomparable.
Si je ne fus en mon temps qu’un gros tas de morve question jap’anim, je sais désormais démêler un sac de nœuds, m’éloigner du soporifique, et même si Miyazaki, le veinard, préfère rester dans sa bulle, bizarre, et refuse de vendre (le sale!) la mèche, je maintiens que son génie est unique, issu de sa créativité folle et singulière, et que seule la production de long-métrages à intervalle régulier lui permit d’éviter un psycho couac.
Un testament d’or ? Fait !
C’est vrai que le vent se lève, par un récit sobre habitant un univers cohérent, ne prête pas à un émerveillement immédiat maintes fois ressenti lors des films précédents du maitre. On sent l’œuvre d’un vieil homme forcément plus mature, qui revient sur les années qui baignèrent sa jeunesse, mais qui sait encore une fois teinter son propos d’un onirisme merveilleux, et la beauté foudroyante de presque tous les plans compense aisément les rares temps faibles de cette histoire d’ingénieur débutant pour qui l’acte de création compte bien plus que l’utilisation qui sera faite des objets issus de son imagination.
Avec ce dernier feu, qui crépite et rougeoie sur une carrière de magnifiques artifices, je saute sur l’occasion de m’agripper à la fusée stupéfiante de ce bouquet final pour saluer mon ancien collègue, avec qui je devais partager tant d’émois cinématographiques, visiter tant d’univers bigarrés et traverser tant d’émotions numériques ou animées.
Je sais, à chaque fois qu’un émoi saugrenu fait frissonner mon vieux cœur de cinéphile endurci, qu’à quelques dizaines de kilomètres de là, le même écarquillement d’œil le trahit, le même rire enfantin le secoue, le même frisson invisible le parcourt.
La bise, vieux pirate. Tôt ou tard, que ce soit sur Tatouine, dans le Rohan ou la vallée du vent, je sais que nos chemins se croiseront à nouveau.