C’est un choc en plein visage que ce dernier film de Hayao Miyazaki. La mise au point avec une œuvre entière, un film-somme pour certains mais surtout, et avant tout, un objet brillant et sublime de bout en bout. Malgré la douceur des images, contemplatives à certains moments du film, bouillonnantes lorsqu’elles dépeignent la terreur d’un tremblement de terre, le Vent se lève est un film sur l’urgence, une fresque sur la peur du regret, qui ne se regarde pas mais qui se vit. Leitmotiv du film, la citation de Paul Valéry «Le vent se lève, il faut tenter de vivre», résonne dans chaque image du film. Miyazaki, malgré un penchant au réalisme qui bouscule les codes habituels d’un cinéma entièrement acquis à la cause de l’onirisme, montre l’Humain sous chacune de ses formes dans ce film : l’amour, la vie, la création mais aussi la destruction. Symbole de ces quatre éléments, la vibrante histoire d’amour entre Jirô et Naoko. Inscrite en phases d’une beauté et d’une lucidité terribles, elle est le squelette de l’entière structure d’un film à la fois romantique, poétique et plus que jamais marqué par l’onirisme dans chacun de ses thèmes.
Du rêve et de ses séquences belles à en pleurer, les rencontres entre Jirô et Caproni semblent être ici le passage de relais entre un père et son fils, à sa reconstitution historique du Japon des années 30, Le vent se lève est une formidable lettre d’amour au cinéma dans sa globalité, dans tout ce qu’il a à offrir lorsqu’il raconte des histoires, qu’elles soient magiques ou tragiques. Miyazaki parvient ici à relier les deux dans un élan de folle fluidité. Le choc est ici tant esthétique qu’émotionnel, puisque le travail de Hayao Miyazaki est, une nouvelle fois, une succession de tableaux splendides où chaque image en cache une autre, une beauté aérienne qui abrite une gravité totale. La première séquence du film, le rêve d’un Jirô confronté à sa myopie, est à elle seule le symbole de tout un film concentré sur le rapport des personnages à leurs difficultés et à leur manière de les appréhender. «Il faut tenter de vivre» répéterons-nous encore une fois. Vivre pour ne pas mourir, regretter ce que finira par regretter Jirô, travailler, rêver au maximum pour laisser une empreinte de notre existence.
N’était-ce pas cela qui ferait aussi peur à Miyazaki ? A savoir s’il a fait de son maximum pour exister dans l’animation ? Cinéaste à part entière, le Japonais est parvenu à rendre l’animation plus adulte mais aussi plus crédible auprès du paysage cinématographique. Le cinéma n’est plus simplement une histoire d’acteurs, mais de dessins qui se succèdent pour conter une seule et même histoire. L’onirisme de l’univers, encore omniprésent sous la forme des rêves, est désormais au service d’un récit mâture et naturellement ancré dans un réel qui se fait plus stable. Or, dans la course vers le temps perdu, Miyazaki offre un récit d’autant plus grave que la mort est au tournant de chaque scène, comme l’ombre inattendue d’un Caproni derrière l’image. La guerre avance mais il n’est plus affaire de cela dans la deuxième partie du film qui se consacre exclusivement à l’histoire d’amour.
La guerre, cette destruction massive de la création humaine, n’empêche pas Miyazaki par des procédés brillants de faire pénétrer dans son imagerie la présence de l’Homme à chaque instant. Lorsque la terre tremble, ce sont les grognements de l’Homme que l’on entend soulever les maisons et les hélices des avions qui se réveillent laissent entendre un doux sifflement. Le Vent se lève est donc d’autant plus beau que Miyazaki laisse une dernière empreinte au cinéma en montrant les hommes tels qu’ils sont vraiment, en revenant à une simplicité visuelle et une émotion plus forte qui se lisent dans les lignes de l’histoire d’amour qui caractérise l’entière complexité de l’œuvre du cinéaste. En implorant Jirô de vivre, de surpasser la mort, c’est un message vibrant que Miyazaki offre au cinéma. Sans tomber dans la grandiloquence, le Japonais conclut donc son film de la plus simple des manières, vers un nouveau dialogue qui s’ouvre au milieu d’un paysage verdoyant où la guerre et le vent qui soufflaient ont laissé place à un calme apaisant.
Film terminal, le Vent se lève est un chef d’œuvre de maturité et de beauté, un monstre narratif où Miyazaki met l’entière disposition de son génie graphique à la dernière grande histoire qu’il raconte à l’écran. Fresque de vie et de mort, le Vent se lève traite aussi de la création humaine dans ce qu’elle a de plus romanesque, l’éveil des sentiments et d’un désir palpable au cours d’une existence condamnée par avance. Une œuvre grandiose et sublime qui sonne comme le paroxysme du talent du cinéaste japonais au cinéma, un ultime film comme le salut d’un artiste qui aura influencé le cinéma jusque dans ses racines.
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