Dans Le vent se lève, Miyazaki laisse libre court à ses fantasmes aéronautiques. Inspiré de la vie de Jirō Horikosh, un ingénieur japonais concepteur de bombardiers et de chasseurs durant la seconde guerre mondiale. Ce passionné d’aviation en rêve même la nuit où il retrouve l’ingénieur italien Caproni, un mentor moustachu qui pousse le jeune Jirō à accomplir son désir, concevoir des avions à défaut de pouvoir voler. Devenu à son tour ingénieur, Jirō n’a de cesse de dépasser les limites de la technologie. Ses connaissances et son ingéniosité sont admirablement servies par le feu dévorant de la passion. Très amoureux de Nahoko, une jolie fille débordante de vitalité mais qui malheureusement souffre de la tuberculose, Jirō n’aura de cesse de lutter entre concevoir des avions et s’occuper de sa femme.
Comme à son habitude, Miyazaki sublime son histoire en exacerbant les sentiments de ses personnages. La musique joue un rôle très important dans l’expression et la transmission de ces sentiments, comme par exemple la dévotion de Nahoko envers son mari et l’aggravation de sa maladie. Le réalisateur a également l’art de donner vie à la nature. Dans le film, l’effroyable rugissement du tremblement de terre donne l’impression d’assister au réveil d’un gigantesque démon endormi sous la ville. Les maisons sont renversées comme de simples châteaux de cartes.
Très influencé par les œuvres d’Antoine Saint-Exupéry, dont Le Petit Prince est le livre jeunesse que Miyazaki recommande le plus, le réalisateur japonais déclara lorsqu’il fit la promo de Le vent se lève que "Mermoz et Saint-Exupéry lui ont fait aimer les années 30". Un autre personnage français est représenté dans le film. Il s’agit du poète Paul Valéry, dont un de ses vers est souvent répété dans le film: "Le vent se lève, il faut tenter de vivre"
Le combat intérieur que livre Jirō est touchant. Ses deux grands amours sont exprimés si puissamment, que l’on comprend qu’il ne peut en rester qu’un. Jirō semble être le seul à ne pas accepter ce dilemme, pensant pouvoir gagner sur tous les tableaux. Le choix sera finalement pris par Nahoko, qui, sentant la fin approcher, retourne au sanatorium dans la montagne afin de ne pas dénaturer l’image de vitalité et d’allégresse laissée à son mari. Une abnégation qui touchera plus Kayo, la sœur de Jirō, que le principal intéressé. C’est l’ultime preuve, s’il en fallait une, que la raison de vivre de notre héros est l’aéronautique.
Le film ne tombe pas dans le piège du contexte politique de l’époque. La guerre est abordée comme un orage au loin qui, lorsqu’il passe au-dessus de Jirō, est masquée par la tragédie de Nahoko. La grande dépression avec la faillite des banques japonaises et vécue quelques instants à travers la vitre d’une voiture qui ne s’arrête pas. Il y a aussi ce terrible tremblement de terre de Kantô qui fera des centaines de milliers de morts, mais qui permet la première rencontre entre Jirō et Nahoko. Se concentrer sur l’histoire en faisant abstraction des évènements qui viendraient entacher l’idéal du jeune ingénieur est un parti pris payant. Le réalisateur force par la même occasion un défaut important de son personnage, son égoïsme. Désintéressé de tout ce qui l’entoure, excepté ses avions, Jirō semble complètement hermétique à la politique de son pays. L’image de fin, où il déambule seul au milieu des carcasses d’avions illustre parfaitement sa vie solitaire et dédiée à son unique passion.
Le vent se lève apparait comme l’œuvre la plus personnelle de Miyazaki. On imagine Jirō avec les défauts et les qualités que son créateur pense avoir. Une vie au service de l’aviation. Une vie au service de l’animation.